Ce que notre voisin a réussi – endiguer la crise –, la France peut aussi le faire. A deux conditions : instaurer des réformes radicales et maîtriser sa dette.
Dans les démocraties en crise, il existe un moment tragique où tout ce qui pourrait les sauver est écarté quand tout ce qui les perd est sanctuarisé. Comme dans les années 1930, la France se trouve enfermée dans cette trappe d’impuissance et de démagogie. L’élection présidentielle de 2017 accouche d’un débat mort-né. Le redressement du pays est occulté par le déchaînement des passions, laissant le champ libre au populisme, qui encourage les causes du déclin français.
Pourtant, il suffit de regarder au-delà des Pyrénées pour trouver la confirmation que le redressement est possible, y compris pour les pays du sud de la zone euro. À une condition : la poursuite d’une stratégie de réforme radicale, à l’image de celle poursuivie par Mariano Rajoy.
L’Espagne a été dévastée par l’éclatement d’une des pires bulles immobilières et financières de l’histoire du capitalisme, qui a provoqué une chute de 10 % de son produit national entre 2003 et 2013 et porté le taux de chômage à 27 % de la population active. Depuis 2014, elle a renoué avec la croissance, qui a atteint 3,2 % en 2015 et en 2016. En 2016, l’économie a créé 542 000 emplois, entraînant une décrue du chômage, revenu à 18 % de la population active. Et le déficit public a été réduit de 9,5 % à 4,6 % du PIB depuis 2011. En 2017, l’Espagne devrait enregistrer une croissance d’au moins 2,5 %, réduire son déficit à 3,1 % du PIB et compter plus de 400 000 emplois supplémentaires.
Pour autant, la crise est loin d’être effacée. Le chômage reste élevé et nombre d’emplois sont précaires, notamment dans le tourisme, qui bénéficie de la fermeture de bien des destinations en Méditerranée en raison du terrorisme islamique. Le secteur bancaire n’a pas encore apuré toutes ses créances douteuses. La dette publique reflue mais s’élève encore à 98,5 % du produit intérieur brut. Surtout, la classe moyenne a subi un terrible choc et un ménage sur six a été déclassé.
Il reste que l’Espagne a cassé la spirale de la déflation pour renouer avec le développement. Dans le même temps, les institutions démocratiques ont résisté à la pression des populistes de Podemos et des indépendantistes catalans.
Aussi convient-il de tirer les leçons du redressement espagnol :
- La priorité doit aller à la reconstitution d’une offre compétitive en termes de prix et de positionnement.
- La baisse des dépenses publiques improductives n’est pas un obstacle mais une condition à la relance de la croissance et de l’emploi.
- Seules réussissent les thérapies de choc pour l’assainissement des comptes publics comme pour le nettoyage des bilans des banques et des entreprises : le confirme le remarquable ajustement de l’Irlande, qui affiche une croissance de 5 % et a diminué le taux de chômage de 15 à 7,9 % tout en ramenant le déficit public de 30 % du PIB en 2009 à 1,1 % du PIB en 2016.
- La résistance de la démocratie est indissociable du respect de l’Etat de droit : il est impératif que la justice passe et qu’elle soit la même pour tous, ce qui a été le cas pour Rodrigo Rato, ancien directeur général du FMI, condamné à quatre ans et demi de prison dans l’affaire des cartes de crédit de complaisance de Bankia, ou d’Iñaki Urdangarin, beau-frère du roi Felipe VI, qui a écopé de six ans et trois mois de prison ainsi que de 500 000 euros d’amende pour les fraudes de la fondation Noos.
- Le redressement n’est jamais importé, mais résulte d’un effort national ancré dans l’esprit, l’histoire et les structures des nations : Arturo Pérez-Reverte souligne dans « Le hussard » que « jamais une seule idée ne sera imposée en Espagne par la force des baïonnettes ». 6/ Pour autant, la zone euro a puissamment aidé l’Espagne en la protégeant d’une attaque sur sa dette souveraine et en l’aidant à restructurer ses banques.
L’Espagne nous rappelle que l’Europe n’est nullement condamnée à la croissance molle et au chômage de masse. La ligne de partage entre les nations qui restent enfermées dans la crise et celles qui l’ont surmontée passe par la capacité à se réformer et à maîtriser la dette publique.
Ce n’est pas l’euro qui enferme la France dans la croissance molle et le chômage de masse, mais la France qui, du fait de son incapacité à se réformer, tire la zone euro vers le bas et fait peser une épée de Damoclès sur la monnaie. Le modèle français, avec sa croissance potentielle inférieure à 1 %, ses 6,6 millions de chômeurs, son déficit commercial de 2,2 % du PIB et sa dette de 98,4 % du PIB, est moins que jamais soutenable. Sa réforme est non seulement une condition de survie pour notre pays, mais la clé de la relance de l’Europe, au moment où elle s’apprête à célébrer le soixantième anniversaire du traité de Rome sous le feu croisé du Brexit et de l’administration Trump.
(Chronique parue dans Le Point du 09 mars 2017)