Le pays doit impérativement préparer l’après-hydrocarbures.
Les déclarations d’Emmanuel Macron qualifiant à Alger la colonisation de crime contre l’humanité cumulent le contresens historique et la démagogie, le même événement étant jugé comme un « élément de civilisation » à Paris et condamné comme « un acte de barbarie » outre-Méditerranée. Elles illustrent le danger pour les hommes politiques d’instrumentaliser l’Histoire, qui ne manque pas de se venger et qui gagne, comme le souligne Kamel Daoud, à être laissée aux historiens. Le dérapage légitime la propagande de la dictature algérienne, toujours prompte à mobiliser les conflits de mémoire pour tenter d’occulter sa faillite.
En avril se dérouleront des élections législatives décisives pour sortir le système politique du coma dans lequel il se trouve plongé depuis la réélection surréaliste en 2014 d’Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis 1999, alors qu’il est dans l’incapacité de se déplacer et de s’exprimer. Le FLN dispose certes de la certitude de conserver la majorité des 479 sièges de députés. Mais l’évolution des rapports de forces entre les différentes factions commencera à dessiner l’après-Bouteflika.
Cinquante-cinq ans après son indépendance, l’Algérie est un pays richissime dont le peuple a été ruiné par ses dirigeants. Elle s’affirme comme un cas d’école de la double malédiction des matières premières et du socialisme. Le premier pays d’Afrique par la taille occupe une situation stratégique entre l’Afrique et l’Europe. Il possède des ressources exceptionnelles dans le domaine des hydrocarbures – qui le mettent au 3e rang des exportateurs de gaz –, mais aussi dans le secteur minier et agricole. Le contraste n’est que plus scandaleux avec la misère, le chômage, l’oppression et la violence qui sont le lot quotidien des Algériens. L’Algérie comptera plus de 50 millions d’habitants dans la décennie 2020. Mais la croissance, officiellement de 3 %, dépend en totalité des hydrocarbures, qui génèrent 97 % des recettes d’exportation et 60 % des recettes publiques. L’économie informelle représente le tiers de l’activité. Le taux de chômage effectif culmine à 25 % de la population active et touche la moitié des jeunes diplômés. Après la terrible guerre civile des années 1990, un semblant d’ordre public n’a été rétabli que par la multiplication des concessions aux islamistes et des aides sociales qui accaparent 26 % du PIB. La corruption est endémique. Les sorties illégales de capitaux excèdent 40 milliards de dollars par an.
Le contre-choc pétrolier intervenu depuis 2014 a porté le coup de grâce à cette économie de rente insoutenable. L’effondrement des prix du baril a entraîné un triple déficit. Déficit public qui s’élève à 30 milliards de dollars en 2016, soit 24 % du PIB. Déficit commercial budgétaire de plus de 20 milliards de dollars. Déficit des paiements courants à hauteur de 8 % du PIB. Au lieu de prendre la mesure de la révolution du marché de l’énergie, le régime a recouru à des expédients : dévaluation massive du dinar ; reprise de l’endettement extérieur ; consommation des réserves de change qui ont diminué de 185 à 110 milliards de dollars. Or elles seront épuisées en 2020, puisque les importations nécessaires à la couverture des besoins vitaux de la population s’élèvent à 60 milliards de dollars par an.
Les choix, lors de l’indépendance, d’une dictature à parti unique sous influence de l’armée, qui dispose du budget le plus important du continent africain avec 11,3 milliards de dollars, et d’une économie planifiée sont autant d’impasses. La menace d’une nouvelle guerre civile plane. L’Algérie est reléguée au 153e rang mondial pour le climat des affaires, réduite à l’affligeant statut d’économie arabe la moins libre après la Syrie. Le régime algérien est un grand corps malade en phase terminale. Il évolue vers une démocrature islamique sans homme fort, écartelée entre le FLN, les oligarques et l’armée.
L’Algérie est dans la situation de l’URSS lors de la perestroïka. Le régime est trop fort pour être renversé mais trop faible pour se réformer. Les réformes qu’appelle la modernisation du pays passent par la chute de la dictature. L’Algérie n’a d’autre choix que de préparer l’après-hydrocarbures, ce qui impose de passer d’une économie de rente à une économie de production par les privatisations, la libéralisation du marché du travail et l’ouverture aux investissements étrangers. Elle disposerait alors d’une chance de devenir l’atelier de l’Europe.
Au lieu de cultiver les passions et les peurs, la France et l’Europe doivent définir une stratégie de long terme face à l’Algérie, en tirant les leçons des erreurs commises en Libye et en Syrie. La transition vers une économie de marché mérite d’être encouragée par tous les moyens : en convertissant l’Algérie en pays émergent à croissance intensive, elle constitue le meilleur antidote à la misère sociale, au fanatisme et à la violence. « La lenteur est de Dieu et la hâte de Satan », affirme un proverbe algérien : il faut cependant agir très vite pour désamorcer la bombe algérienne.
(Chronique parue dans Le Point du 23 février 2017)