En plus de son coût vertigineux, le revenu universel pose des problèmes de principe. Il constitue l’illusion ultime.
Le revenu universel de base qui s’est imposé avec Benoît Hamon comme le nouveau mantra du Parti socialiste consiste à verser une allocation unique et identique à tous les citoyens d’une nation, sans aucune condition pour en bénéficier ou pour l’utiliser. Elle entend garantir une vie décente à tous les membres d’une communauté tout en assurant leur autonomie et la liberté de leurs choix de vie, sans contrôle social ou surveillance par l’État.
L’idée d’un revenu universel remonte aux premiers jalons du capitalisme et de la démocratie, avec Thomas More puis Thomas Paine. Elle fut développée tant par les socialistes utopiques comme Charles Fourier au temps de la révolution industrielle que par des philosophes de l’équité sociale comme John Rawls ou des économistes libéraux comme Milton Friedman pour asseoir ou refonder l’État-providence.
Trois arguments plaidaient pour le revenu universel : la lutte contre la grande pauvreté et les inégalités ; la simplification de la protection sociale, trop complexe et opaque, avec pour pendant celle de la fiscalité ; l’émancipation des citoyens face au travail comme aux pouvoirs publics. Ils sont aujourd’hui renouvelés par la révolution numérique et ses conséquences potentielles sur l’emploi et le salariat, socle des classes moyennes des pays développés.
La transformation digitale des activités et des entreprises détruirait jusqu’à la moitié des emplois existants d’ici à 2030 qui auraient vocation à être remplacés par des robots. Plus que la mondialisation, elle créerait un chômage structurel de masse. Elle ferait basculer dans la pauvreté des pans entiers de la population des pays développés, avec pour première conséquence le déchaînement des populismes dont le Brexit et l’élection de Donald Trump ont ouvert l’ère. La seule solution pour éviter la paupérisation des classes moyennes tout en préservant la paix civile et la démocratie consisterait dès lors à instaurer un revenu universel.
De fait, les expérimentations se multiplient. En Alaska, où le revenu universel est financé par les intérêts des revenus miniers et pétroliers gérés par le fonds souverain. Au Brésil, qui a inscrit dans sa Constitution la généralisation progressive du programme Bolsa Familia créé par Lula. En Finlande qui a voté en 2015 le principe d’une allocation comprise entre 850 et 1 000 euros par mois. Le revenu universel présente toutefois des risques majeurs qui ont conduit à juste titre les Suisses en 2016 à le rejeter par référendum.
Les premiers obstacles sont opérationnels. Son montant doit être suffisamment haut pour assurer un niveau de vie décent, mais pas trop pour ne pas supprimer toute incitation au travail qui ruinerait la production.
Le principe d’une allocation unique et identique interdit de prendre en compte les situations spécifiques, par exemple celles des handicapés ou des familles. Surtout son coût est vertigineux : en France, il faudrait dégager 480 milliards d’euros pour verser 785 euros par mois à tout citoyen âgé de plus de 18 ans, soit 22 % du PIB, alors que les dépenses et les recettes publiques culminent déjà à 34 % et 54 % du PIB.
Mais il existe aussi des problèmes de principe. Le revenu universel se fonde sur le postulat erroné de la fin de la croissance et du travail. Or la mondialisation et la révolution numérique obéissent à la mécanique de la destruction créatrice de Schumpeter, faisant émerger des activités et des postes de travail nouveaux auxquels il faut se préparer, notamment par des investissements dans l’éducation et les infrastructures. Le travail mute en s’émancipant du carcan du salariat. Il est de même dangereux de limiter la solidarité au versement d’une allocation sans se préoccuper de réinsertion qui manifeste un respect véritable pour les personnes ; l’exclusion est le produit d’accidents de la vie et de trajectoires individuelles brisées qu’il faut aider à reconstruire. Le revenu universel, pour éviter l’exil des talents et l’afflux massif de migrants venant de pays pauvres, doit être mis en œuvre au sein d’une communauté fermée, ce qui est incompatible avec la société ouverte. Enfin, la citoyenneté est dévoyée quand elle se résume à un droit illimité dès l’enfance à une allocation sans aucun engagement envers la collectivité ou d’appartenance à la nation.
Le revenu universel constitue l’illusion ultime, censée offrir à chacun la possibilité de vivre aux dépens de tous. Sa fausse simplicité ne résout en rien les difficultés des sociétés complexes à inclure l’ensemble de la population.
Au lieu de dilapider l’argent public en allocations inutiles, investissons-le pour moderniser notre appareil de production et notre capital humain. Au lieu de planifier le chômage pour tous, créons les activités digitales et les emplois post-salariés de demain. Au lieu de répéter les erreurs malthusiennes du passé, parions sur les espoirs bien réels de progrès.
(Chronique parue dans Le Figaro du 30 janvier 2017)