Donald Trump a décidé de faire plier la Chine. Mais Pékin ne manque pas de munitions économiques.
L’année 2016 restera comme celle de la déstabilisation des démocraties par une vague populiste inédite depuis les années 1930, du Brexit à l’élection de Donald Trump en passant par la chute de Matteo Renzi. 2017 pourrait être placé sous le signe de la montée brutale des tensions dans le Pacifique, conséquence de la nouvelle donne stratégique qui oppose les États-Unis de Trump, en plein repli nationaliste et protectionniste, à la Chine de Xi Jinping, menacée de démesure impériale.
Donald Trump fait de la Chine la priorité de sa politique étrangère. Son objectif consiste à rééquilibrer les relations économiques entre les deux principales puissances du XXIe siècle, en menaçant d’appliquer des droits de douane de 45 % aux importations chinoises. Simultanément, il entend dénoncer le pacte transpacifique qui organisait le cantonnement économique et commercial de la Chine en Asie. Au risque d’entraîner une généralisation des mesures protectionnistes et des dévaluations compétitives qui mettraient fin à la mondialisation.
Pour le futur président des États-Unis, il s’agit de tirer les conséquences de l’échec de la stratégie du pivot vers l’Asie poursuivie par Barack Obama, ruinée par le basculement des Philippines et de la Malaisie vers Pékin, mais aussi du bilan biaisé de l’admission de la Chine à l’OMC en 2001. Depuis quinze ans, Pékin a profité de son intégration dans les échanges mondiaux pour accélérer formidablement son émergence en s’imposant comme le premier exportateur de la planète, sans pour autant ouvrir son économie, faire progresser l’État de droit ou démocratiser son système de pouvoir.
La confrontation s’annonce musclée. Elle se déploiera sur les fronts commercial, diplomatique et stratégique. L’économiste Peter Navarro, qui a régulièrement dénoncé Pékin comme responsable de la désindustrialisation des États-Unis, a été nommé à la tête du nouveau Conseil du commerce national, avec pour mission de mettre en place un arsenal réglementaire et fiscal pour répondre au dumping commercial et monétaire chinois. Trump s’est par ailleurs déclaré prêt à réviser la stratégie dite de la Chine unique, fondement de la relation entre les deux pays depuis 1979, et à établir des liens directs avec Taïwan. Pékin, qui revendique la souveraineté sur la mer de Chine, a répliqué en accélérant la militarisation des îlots artificiels construits illégalement, notamment dans l’archipel des Spratly, désormais équipés de systèmes de défense antiaériens assurant une capacité de déni d’action, et en capturant un drone océanographique américain.
La Chine ne manque pas de possibilités de rétorsion. Sur le plan commercial, le projet de zone de libre-échange asiatique a été relancé à la suite du sabordage du TPP par Donald Trump. Sur le plan économique, Pékin peut sanctionner les firmes de la Silicon Valley, discriminer les investissements américains ou bloquer les opérations des entreprises chinoises aux États-Unis. Sur le plan monétaire, l’arme est la dévaluation du yuan. Sur le plan financier, la Chine demeure le premier porteur de bons du Trésor américain après la Fed et peut accélérer la montée des taux d’intérêt. Sur le plan diplomatique, Taïwan, dont l’activité dépend du continent, pourrait faire l’objet de sanctions économiques. Sur le plan stratégique, le soutien tacite à la Corée du Nord pourrait être élargi en un programme d’aide au développement. Enfin, un axe des démocratures hostiles aux Etats-Unis pourrait être constitué avec la Russie de Vladimir Poutine, la Turquie de Recep Erdogan et l’Iran des mollahs, dont un tiers des exportations de pétrole sont effectuées vers la Chine.
Outre l’affaiblissement des États-Unis, leur perte de crédibilité et le doute sur leur garantie de sécurité, la Chine bénéficie des difficultés que traversent les principaux alliés de Washington en Asie. Le Japon demeure englué dans la déflation qui a débuté au début des années 1990 et dans les scandales financiers qui affectent ses conglomérats, à l’image de Toshiba, tandis que la transformation des forces d’autodéfense en armée régulière, voulue par Shinzo Abe, est contestée par l’opinion publique. La Corée du Sud est paralysée par la destitution de la présidente Park Geun-hye, impliquée dans le racket des grandes entreprises par sa conseillère, Choi Soon-sil, et frappée aussi par les difficultés de ses groupes mondialisés, à l’image de Samsung. Enfin, les Philippines, sous l’impulsion de Rodrigo Duterte, ont basculé dans le populisme et se rallient à Pékin.
Pour autant, rien n’est joué. Les États-Unis conservent des atouts majeurs avec la vitalité et la créativité de la société comme avec leur capacité sans équivalent d’attraction des talents et des cerveaux, des capitaux et des entreprises. Leur vulnérabilité tient aux dysfonctionnements de leur système politique. La Chine peut céder à la tentation de l’arrogance alors même qu’elle a le vent en poupe. La stabilité du leadership et la capacité à conduire des stratégies de long terme ont pour contrepartie les déséquilibres du développement intensif – des inégalités au saccage de l’environnement –, l’hétérogénéité de son immense population, les tensions entre un capitalisme entrepreneurial fondé sur l’innovation et l’absence de liberté politique.
Fondamentalement, les États-Unis et la Chine sont interdépendants, ce qui limite en principe les risques d’affrontements directs. Mais le leadership du système mondial se dispute entre ces deux géants. Et l’exacerbation des passions peut à tout moment l’emporter, transformant un incident en confrontation ouverte. Le Pacifique est d’ores et déjà le cœur de l’histoire du XXIe siècle. Mais cette histoire n’a pas de raison d’être pacifique.
(Chronique parue dans Le Point du 05 janvier 2017)