Le budget pour 2017 est un chef-d’œuvre d’inconséquence qui clôt un quinquennat placé sous le signe du déni, du refus des réformes et de l’irresponsabilité.
Alors que le Centre Pompidou rend hommage à Magritte, le peintre philosophe dont la toile Ceci n’est pas une pipe est devenue le symbole de la transgression des codes et des normes, le surréalisme investit Bercy avec le projet de loi de finances pour 2017. À la trahison des images répond celle des comptes ; la perversion des chiffres fait écho à celle du langage. Le budget pour 2017 est un chef-d’œuvre d’inconséquence qui clôt un quinquennat placé sous le signe du déni, du refus des réformes et de l’irresponsabilité.
François Hollande, à l’inverse de François Mitterrand après 1981, n’a tiré aucune leçon de ses erreurs, telles la sous-estimation du décrochage de l’économie française ou la fragilité de la zone euro. Il reste persuadé qu’il suffit d’annoncer la reprise, l’inversion de la courbe du chômage ou la stabilisation de la dette publique pour les faire advenir. Or il n’en est rien.
L’hypothèse d’une croissance de 1,5 % en 2017 est irréaliste. Le FMI et l’OCDE l’estiment entre 1,2 et 1,3 %. L’économie française restera bridée par les séquelles du choc fiscal qui a coûté 0,8 point d’activité par an depuis 2012. Elle affrontera aussi une configuration moins favorable avec la remontée du pétrole et des taux d’intérêt, l’onde de choc des attentats qui a provoqué une chute de 10 % du tourisme (8 % du PIB), l’incertitude générée par le Brexit et par un cycle électoral dominé par le populisme.
La France n’en a nullement fini avec le choc fiscal. L’apparente stabilisation des prélèvements obligatoires au niveau de 44,5 % du PIB ne parvient pas à masquer la hausse des recettes publiques de 4 points de PIB depuis 2012, et notamment la hausse des impôts locaux de plus de 10 %. De plus, les 35 milliards d’impôts supplémentaires à la charge des ménages ont été essentiellement supportés par 10 % d’entre d’eux. Seuls 45 % des foyers acquittent encore l’impôt sur le revenu, ce qui détruit la citoyenneté et la solidarité. D’où l’accélération sans précédent des départs à l’étranger de ménages fortunés et d’entrepreneurs.
La perte de contrôle des finances publiques va de pair avec la multiplication des manipulations comptables. Les dépenses en direction des fonctionnaires, des enseignants ou des jeunes ne sont prises en compte que pour 4 milliards d’euros alors que leur coût s’élève entre 10 et 13 milliards en année pleine. L’objectif de progression des dépenses de santé a été porté à 2,1 %, ce qui est incompatible avec l’élimination du déficit de l’Assurance-maladie (les 4 milliards d’économies liées à « l’efficience des hôpitaux » ou à la « pertinence des soins » restent virtuels). Les pertes de l’Unedic dépasseront 4 milliards du fait de la remontée du chômage liée à la baisse des emplois aidés dont le financement disparaît. Simultanément, le recours au CICE permet de reporter 5 milliards de baisses de charges à 2018. Le déficit se trouve ainsi artificiellement minoré : son niveau réel est de 3,7 % du PIB et non de 2,7 %.
L’imposture atteint un sommet avec l’affirmation selon laquelle l’effort de redressement des comptes publics serait plus important en France qu’en Allemagne, qui affiche un excédent public de 1,2 % du PIB et une dette publique réduite à 71 % du PIB quand celle de notre pays culmine à 97,5 % du PIB – hors réintégration de ses démembrements du type de la dette ferroviaire qui atteint 44 milliards.
En réalité, les risques liés à la dérive des finances publiques française n’ont jamais été aussi élevés. Risque économique de la stagnation car la dépense publique provoque l’euthanasie de la production, de l’investissement et de l’emploi privés. Risque financier avec le début de remontée des taux longs aux États-Unis et au Japon mais aussi en Europe. Risque politique avec la déstabilisation des classes moyennes par la fiscalité confiscatoire qui fait le lit des extrémistes. Risque européen avec la possible relance de la crise de l’euro et le discrédit des dirigeants français au sein de l’Union au moment où celle-ci joue sa survie après le Brexit.
Le budget 2017 acte l’échec radical de la politique économique de François Hollande. Il est aussi riche d’enseignements pour le redressement de l’économie française et pour ceux qui prétendent le conduire. D’abord, il est indispensable de rétablir la vérité sur les comptes publics en réintégrant les dépenses et les dettes cachées, ce qui passe par un audit indépendant confié à la Cour des comptes. Ensuite, il faudra refuser le faux dilemme entre les réformes et la baisse des dépenses publiques. Depuis trente-cinq ans, la dépense publique a progressé de 47 à 57 % du PIB, sans autre résultat que la hausse de la dette, des impôts et du chômage. La restauration de la compétitivité et le retour à l’équilibre des finances publiques ne sont pas antagonistes mais indissociables. Pour baisser les impôts, il faut diminuer les dépenses publiques. Pour baisser les dépenses publiques, il faut restructurer notre État en faillite, ce qui constitue la première des réformes.
(Chronique parue dans Le Point du 26 septembre 2016)