Depuis 2014, l’Europe a été confrontée à une succession de chocs stratégiques aucunement anticipés. Loin d’y répondre de façon cohérente, l’Union s’est divisée entre l’Est et l’Ouest.
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, à l’exception marquante des États-Unis que les attentats du 11 septembre 2001 ont entraînés dans une démesure guerrière, la sécurité fut ravalée au dernier rang des préoccupations des démocraties, qui communièrent dans l’illusion de la fin de l’histoire et de la violence. Et ce tout particulièrement en Europe qui a poursuivi son désarmement unilatéral depuis les années 1990 alors que les dépenses d’armement augmentaient de 255 % dans le monde.
Depuis 2014, l’Europe a été confrontée à une succession de chocs stratégiques aucunement anticipés : annexion de la Crimée et intervention de la Russie en Ukraine ; déclenchement de la plus importante vague de migration depuis 1945 ; multiplication des attentats djihadistes. Loin d’y répondre de façon cohérente, l’Union s’est divisée entre l’Est et l’Ouest et s’est hérissée de murs avant d’être confrontée au Brexit qui ampute ses faibles capacités stratégiques. Pour sa part, la France, avec 230 morts et près de 800 blessés, est, depuis le début de l’année 2015, le troisième pays le plus touché par le terrorisme en dehors des zones de guerre ouverte.
Dès lors, la sécurité a changé de statut. De marginale, elle est devenue centrale, s’imposant comme la première préoccupation des citoyens en Europe aux côtés de la relance de la croissance et de l’emploi. Très présente dans les débats qui ont accompagné le référendum britannique sur le Brexit et les élections régionales allemandes, elle sera décisive dans le cycle électoral qui s’ouvre, du vote autrichien et du référendum italien à l’élection législative allemande de l’automne 2017 en passant par l’élection présidentielle française.
Le terrorisme islamique constitue une menace extérieure et intérieure d’une radicale nouveauté. Au-delà du Moyen-Orient et de l’Afrique, il se déploie au cœur de nos sociétés. Les démocratures, telles la Russie et la Turquie, partagent la détestation des démocraties et les coups de force, excellant à générer des conflits hybrides pour assouvir leurs ambitions de puissance. Le cyberespace contribue à priver les États du monopole de la violence.
La victoire de la démocratie face au djihad ou aux démocratures suppose un profond changement de notre stratégie, de nos doctrines, de notre culture, de notre organisation, des moyens que nous sommes prêts à consacrer à la sécurité. Et ce tant en France qu’en Europe. Dès lors, s’imposent cinq priorités pour combler nos failles et dysfonctionnements.
- À risques globaux sécurité globale. Or les politiques publiques qui participent à la sécurité demeurent hétérogènes et non coordonnées, les administrations fonctionnent en silos, les partenariats entre secteur public et privé demeurent l’exception. D’où l’urgence de créer auprès du président de la République un Conseil de sécurité nationale.
- Alors que près d’un million de personnes mobilisant 63 milliards d’euros travaillent à la sécurité publique et privée en France, leurs responsabilités et leurs doctrines sont imprécises, leurs statuts et leurs domaines d’intervention conflictuels, leurs interventions cloisonnées, à l’image du renseignement qui compte 6 services relevant de 3 ministères. Il est vital de doter le ministère de l’Intérieur d’un centre opérationnel permanent, de réorganiser le renseignement et les forces d’intervention afin d’offrir un minimum d’égalité des Français devant la sécurité.
- La France consacre 34 % de son PIB aux transferts sociaux contre 1,5 % à sa défense et 0,7 % à sa sécurité intérieure. Un réinvestissement s’impose, qui porte l’effort de défense à 2 % du PIB à l’horizon de 2025, soit une hausse de 2,2 milliards par an équivalente à l’effort engagé en Allemagne, et le budget de la sécurité intérieure à 1 % du PIB.
- Les entreprises, qui sont à la fois des cibles et des acteurs, doivent investir. L’industrie de défense est une filière d’excellence dont l’innovation et l’internationalisation méritent d’être accélérées. Mais les citoyens doivent aussi se réengager en se formant aux situations d’urgence, en se mobilisant au sein de la réserve opérationnelle, en soutenant la réorientation d’une partie – minime – des dépenses sociales dans la modernisation de l’État régalien.
- Après le Brexit, il est indispensable de contrer la désintégration de l’Europe par le lancement d’une Union pour la sécurité dont les missions comprendraient la lutte contre le terrorisme, la protection des infrastructures essentielles et le contrôle des frontières extérieures de l’Union.
La France reste seule en Europe à siéger en permanence au Conseil de sécurité de l’ONU, à compter parmi les puissances nucléaires, à disposer d’une capacité de commandement et de projection. C’est une responsabilité majeure. N’attendons pas d’être battus pour nous en montrer dignes.
(Chronique parue dans Le Point du 12 septembre 2016)