La chute de la maison Jospin permet de tirer quatre leçons politiques.
Longtemps Lionel Jospin s’est couché avec la conscience aiguë d’avoir fait le bonheur du peuple malgré lui, des 35 heures à la CMU, jusqu’à ce 21 avril 2002 où ce même peuple s’est rebellé. La profondeur et le caractère inéluctable de l’échec de Jospin découlent du vote sans appel des classes populaires, qui témoigne, au-delà de la médiocrité de sa campagne, de la faillite de son gouvernement : le candidat du PS n’a rassemblé les suffrages que de 11 % des ouvriers, 14 % des chômeurs et 12 % des autres inactifs. Il est donc indiscutable que Jospin a été victime de la fracture qu’il a ouverte entre le socialisme et le peuple.
Comment expliquer que Lionel Jospin, en dépit de la baisse du chômage et d’une politique sociale ouvertement démagogique, se soit aliéné le peuple, quand Tony Blair, en dépit d’une troisième voie dont le libéralisme est clairement revendiqué, n’a jamais perdu la confiance des ouvriers anglais ? Quatre explications peuvent être avancées :
- Tout d’abord, l’empreinte marxiste. Seul, en Europe, le PS n’a pas rompu avec le marxisme, ni sur le plan politique, ni sur le plan intellectuel. Il en est résulté un économisme vulgaire, selon lequel le retour de la croissance et la baisse du chômage, que chacun savait par ailleurs liés à la seule conjoncture internationale, déterminaient le vote des salariés en faveur de la gauche. Or l’élection présidentielle relève par excellence de l’autonomie du politique.
- Ensuite, le clientélisme, père du populisme.Durant cinq années, Lionel Jospin s’est consacré à la gestion des états d’âme de la majorité plurielle, en affermant l’Etat à la longue cohorte des revendications corporatistes.
- En troisième lieu, l’étatisme. Dès l’origine, à travers le psychodrame des 35 heures ou le limogeage de Christian Blanc, Lionel Jospin a confondu l’autorité et l’arbitraire, l’intérêt supérieur de l’Etat avec l’autisme d’un gouvernement de fonctionnaires, formant avec l’administration une bulle spéculative s’enorgueillissant d’être en apesanteur totale vis-à-vis des acteurs économiques et sociaux – à commencer par les syndicats de salariés.
- Enfin, le snobisme des modes intellectuelles.Le mélange de réformes de société ciblant des minorités et d’une universalisation de droits fictifs a accéléré la perte des valeurs collectives. Le mépris affiché pour la valeur et la dignité du travail, notamment à travers les 35 heures, n’a pas manqué de heurter les plus défavorisés, qui en connaissent à la fois le prix et la dureté. En se coupant du travail, le PS a divorcé d’avec les travailleurs.
Quatre leçons émergent de la résurrection puis de la chute de Jospin. A l’aune de l’Histoire, le gouvernement de la gauche plurielle ne marque pas une rupture, mais un sursis accordé à l’ère Mitterrand par la faillite du gouvernement Juppé et l’erreur de la dissolution de 1997. Jospin n’existait que par la majorité plurielle et la majorité plurielle n’a ni chef ni sens sans Jospin. La reconquête de l’électorat populaire par le PS ne passe pas par l’exacerbation d’un ancrage à gauche mythologique mais par l’engagement de l’aggiornamento différé depuis des décennies concernant la définition d’une nouvelle identité, réconciliée avec la nation, la liberté et le marché, ouverte sur l’Europe et le monde. Comme Jospin, Raffarin cumulera, s’il refuse de choisir entre réformes et statu quo, le déclin de la France, les crises sociales à répétition et la sanction du peuple.
(Chronique parue dans Le Point du 31 mai 2002)