Il revient au président de choisir entre l’application de son programme et le sauvetage de l’euro, qui passe par la réforme du modèle économique français.
La zone euro est devenue l’épicentre de la crise des risques souverains, qui la menace d’implosion. Des grands pôles de la mondialisation, c’est le seul à être retombé dans la récession depuis 2009, ce qui provoque une vive montée du chômage, à 11 % de la population active, soit 17,4 millions de personnes. La crise accélère les divergences en favorisant des transferts massifs des pays en restructuration d’Europe du Sud vers les pays excédentaires d’Europe du Nord. Ainsi, 27 000 jeunes et 97 milliards de capitaux ont quitté l’Espagne au cours du premier trimestre 2012 ; dans le même temps, les taux d’intérêt de la dette espagnole culminent à 6,7 %, quand ils sont devenus négatifs en Allemagne. Le cumul de la récession, du chômage permanent, de la hausse des taux d’intérêt, qui interdit la baisse des déficits et des dettes publics, crée une configuration classique de dépression. La zone euro devient un risque équivalant à celui de la faillite de Lehman Brothers en 2008, avec la conjonction, d’une part, de la désintégration économique, sociale et politique de la Grèce en dépit du bouclage du plus important plan d’aide de l’Histoire (33 000 euros par Grec) et, d’autre part, de la faillite du système bancaire espagnol, qui peut dégénérer en panique.
L’éclatement de la zone euro, qui plongerait l’économie mondiale dans la dépression, doit être évité à tout prix. L’euro est né de la volonté politique d’accompagner la réunification de l’Europe et de l’Allemagne par une intégration renforcée du continent et du projet économique de consolider le grand marché en le protégeant des dévaluations. L’éclatement de la zone euro entraînerait une cascade de dévaluations, de défauts de banques et d’entreprises, de fuites de capitaux et d’activités qui rendraient indispensable la reconstruction des frontières économiques. Le marché unique n’y résisterait pas, faisant exploser le premier pôle commercial mondial et déclenchant une vague protectionniste qui casserait les échanges et les paiements mondiaux. Au-delà de l’économie, la déstabilisation des classes moyennes, confrontées à une chute vertigineuse de leur revenu, de leur patrimoine et de leur emploi, mettrait en péril la démocratie dans nombre de pays, à l’image de la Grèce. Les coûts économiques et politiques de l’éclatement de l’euro sont donc hors de proportion avec les efforts requis par son sauvetage.
Le sauvetage de l’euro implique de rompre avec le gradualisme du « trop peu trop tard » pour trancher quatre dilemmes :
- Le premier oppose la culture de la stabilité chère à l’Allemagne à la capacité de gestion des crises à travers des protections pour les banques et pour les États soumis à la pression des marchés : l’urgence ne doit pas compromettre la restauration des équilibres, mais la contagion de la panique constitue le plus sûr vecteur de l’instabilité.
- Le deuxième se noue entre la surexpansion des États providence, incompatible avec le vieillissement démographique et la baisse de la croissance potentielle, et les réformes structurelles, qui sont la clé des gains de productivité.
- Le troisième met aux prises la rigueur, qui ne doit pas devenir un facteur de dépression, et la croissance, indispensable au désendettement.
- Le quatrième, déterminant, réside dans l’alternative entre l’intégration et l’éclatement. La solution économique à la crise de l’euro se trouve dans une union bancaire pour prévenir la fuite des capitaux, et une union budgétaire constituant le socle de la mutualisation des dettes publiques. Mais la réalité politique est celle d’une renationalisation des politiques économiques, notamment du crédit, ainsi que d’une radicalisation des opinions dans une hostilité à l’Europe qui est devenue le premier fonds de commerce des démagogues et des populistes.
Les Européens, Allemagne et France en tête, doivent prendre conscience de l’urgence et assumer la responsabilité historique du sauvetage de l’euro. Pour ce qui est de la Grèce, le choix doit être affirmé entre le respect des engagements et la sortie de l’euro, dont les conséquences peuvent être contenues. La priorité absolue doit aller à la sauvegarde du système bancaire européen à travers l’institution d’une garantie européenne sur les dépôts, l’émission illimitée de liquidités par la BCE et la recapitalisation via le mécanisme européen de stabilité. La BCE, elle-même recapitalisée, doit être autorisée à acheter des titres de dette publique. Une mutualisation partielle de cette dette – limitée dans le temps et dans son champ au-delà de 60 % du PIB – devrait intervenir. Avec pour condition la ratification du traité fiscal, indispensable pour garantir à l’Allemagne qu’elle ne paiera pas tant pour le passé que pour le futur. L’ajustement repose ultimement sur le retour de la croissance. Elle doit être favorisée à court terme par des transferts financiers et des investissements de l’Europe du Nord vers celle du Sud. Elle dépend à moyen terme de l’élimination des déficits publics et commerciaux, donc du redressement de la compétitivité, qui passe par les réformes structurelles, notamment du marché du travail, mais aussi par la relance du grand marché dans le domaine des services.
Le sauvetage de l’euro sera l’affaire des Européens ou ne sera pas. Il ne peut être réalisé que par un leadership fort, dont le ressort ne peut être que franco-allemand. Il revient à Merkel de convaincre les Allemands que leur prospérité ne survivrait pas à l’éclatement de la zone euro et à la ruine de soixante ans d’intégration européenne. Il revient à Hollande de choisir entre l’application de son programme et le sauvetage de l’euro, qui passe par la réforme du modèle économique français et par un accord politique avec l’Allemagne sur l’union bancaire, fiscale et budgétaire. L’Allemagne doit assumer la solidarité ; la France doit assumer la rigueur.
(Chronique parue dans Le Point du 07 juin 2012)