La dette française était protégée par la crise de l’Espagne et de l’Italie d’un côté, par le bouclier allemand de l’autre. Une configuration désormais caduque.
Le sommet européen du 29 juin marque un pas positif dans la gestion de l’interminable crise de l’euro. A défaut d’une véritable union bancaire et budgétaire, des progrès dans l’intégration sont intervenus. Et des mesures d’urgence salutaires ont permis de dépasser le débat stérile entre austérité et croissance. Les banques pourront être recapitalisées directement, sans que les aides transitent par les comptes publics en les dégradant, et les prêts consentis ne seront pas privilégiés, ce qui restaure la confiance des investisseurs, toutes conditions indispensables pour l’Espagne au bord du krach. En contrepartie, la supervision bancaire sera centralisée sous l’autorité de la BCE. Les fonds de stabilité pourront être mobilisés pour acheter la dette publique des Etats en difficulté afin de détendre les taux d’intérêt, ce qui est vital pour la survie des réformes engagées par Mario Monti en Italie. Un pacte de croissance limité est adopté à l’initiative de la France, portant sur 120 milliards d’euros – soit 1 % du PIB de la zone euro – et sans dépense supplémentaire. Mais ni la renégociation du traité budgétaire ni la création d’euro-obligations n’ont été abordées. Le principal progrès réside donc dans les mesures d’urgence arrêtées à la suite du coup de force de l’Italie et de l’Espagne qui contribuent au rééquilibrage du policy-mix.
Rien n’est réglé pour autant et le risque du « trop peu trop tard » reste entier. L’efficacité des mesures d’urgence dépendra de leur vitesse d’exécution. Le vote par le Bundestag du traité budgétaire le 29 juin est un signal positif. Il reste à confirmer par la ratification française, alors que le pacte de croissance relève du symbole politique sans portée économique réelle. Les fonds de stabilité sont limités à 700 milliards d’euros, dont 300 milliards déjà engagés au profit de l’Irlande, du Portugal et de l’Espagne. L’interminable crise grecque demeure, elle, pendante. Les révélations sur les libertés prises par Athènes en matière d’embauches de fonctionnaires et d’aides au système bancaire ne faciliteront pas l’assouplissement du programme d’ajustement. Surtout, le compromis arrêté entre les quatre premières économies de la zone euro constitue un ensemble hétérogène, à l’exclusion d’une stratégie de sortie de crise cohérente et d’un cadre institutionnel solide pour l’union bancaire et budgétaire. Sur le plan politique, le sommet a exacerbé les tensions entre le Nord et le Sud, l’Allemagne et la France, ce qui exclut toute avancée rapide vers un fédéralisme européen.
Le grand vainqueur du sommet est Mario Monti, qui a mis à profit la mésentente franco-allemande pour imposer l’agenda de l’Europe du Sud sur les mesures d’urgence. La fenêtre de négociation qui a permis l’accord européen du 29 juin a été ouverte par l’élection de François Hollande, mais ce sont Mario Monti et Mariano Rajoy qui l’ont utilisée. Leur succès tient à trois raisons. D’abord, leur analyse exacte des priorités qui allaient à l’endiguement de la crise bancaire et du mouvement de fuite des capitaux, et non pas à un durcissement de l’austérité ou à une relance keynésienne masquée. Ensuite, leur crédibilité dans la conduite de l’ajustement budgétaire et des réformes structurelles, notamment du marché du travail, qui se traduisent déjà par un net redressement de la balance courante de l’Italie et de l’Espagne. Enfin, la connaissance intime des négociations communautaires et l’art diplomatique de Mario Monti, qui a superbement gagné son coup de poker, au grand bénéfice de l’Italie et de l’Europe, sans pour autant s’aliéner ni l’Allemagne ni la France. Dans cette nouvelle donne européenne, la France est isolée. L’Italie a pris la tête des pays méditerranéens et fait la décision. Le couple franco-allemand est profondément fissuré, ce qui prive la zone euro du leadership politique qui peut seul tracer une sortie de crise durable.
Pour François Hollande, qui doit désormais réconcilier ses engagements européens et sa politique économique, l’atterrissage, c’est maintenant. Avec le traité budgétaire, il a accepté l’instauration d’une règle d’or et le retour à l’équilibre des finances publiques au cours de son mandat. Or cela est incompatible avec son programme. Sur le plan budgétaire, la rigueur devra être assumée d’emblée, comme le souligne l’audit de la Cour des comptes, qui évalue à 10 milliards d’euros en 2012 et 33 milliards en 2013 l’effort à réaliser pour respecter l’objectif d’un déficit public de 3 % du PIB l’an prochain. L’ajustement devra porter principalement sur la baisse des dépenses, car la mise en oeuvre des hausses d’impôts projetées (7,5 milliards d’euros en 2012 et 19 milliards en 2013) transformerait la stagnation en violente récession. Sur le plan économique, l’origine fondamentale de la crise de l’Europe du Sud demeure le déséquilibre des paiements lié à une compétitivité insuffisante. De ce point de vue, la France, qui affiche le plus important déficit commercial (70 milliards d’euros en 2011), est dans la pire des situations. La priorité absolue doit donc être donnée au rétablissement de la productivité et des comptes des entreprises, ce qui passe par la maîtrise des coûts du travail, la réorientation de l’épargne nationale vers les fonds propres, la diminution des prélèvements fiscaux et sociaux record qu’elles supportent. Au plan financier, la dette française était jusqu’à présent protégée par la crise aiguë de l’Espagne et de l’Italie d’un côté, par le bouclier allemand de l’autre. Au lendemain du sommet, cette configuration est caduque, laissant la France à découvert. L’été devrait être plus calme en Italie et en Espagne ; il pourrait être très chaud en France.
(Chronique parue dans Le Point du 05 juillet 2012)