Les populismes d’extrême droite prospèrent sur les peurs que suscitent les grandes transformations historiques du début du XXIe siècle.
La victoire in extremis, avec 31 026 voix d’avance sur 4,6 millions de suffrages, du candidat écologiste Alexander Van der Bellen sur le populiste d’extrême droite Norbert Hofer lors de l’élection présidentielle autrichienne du 22 mai, a été saluée par une vague de soulagement en Europe. Elle constitue cependant une alerte majeure. Les deux partis qui dominaient la vie politique autrichienne depuis l’après-guerre ont été éliminés dès le premier tour. Jamais depuis les années 1930, l’extrême droite n’avait recueilli la moitié des votes dans une démocratie d’Europe occidentale.
Sa défaite sur le fil dans la conquête d’un poste symbolique pourrait annoncer une victoire lors des élections législatives de 2018, qui donnerait au FPÖ et à son leader, Heinz-Christian Strache, les clés du gouvernement.
La tentation pointe de se rassurer à bon compte en soulignant la singularité de l’Autriche. Elle s’est en effet reconstruite après 1945 autour du mythe la transformant en première victime de Hitler et n’a fait – très partiellement – la vérité sur son passé nazi qu’à l’occasion de l’affaire Kurt Waldheim.
Pour autant, la percée de l’extrême droite ne relève en rien d’une exception autrichienne. Elle n’est pas davantage le monopole des anciennes démocraties populaires, telles la démocrature de Viktor Orban en Hongrie ou la démocratie non libérale de Jaroslaw Kaczynski en Pologne. Le populisme progresse partout, d’Aube dorée en Grèce au Parti des vrais Finlandais ou aux Démocrates suédois en passant par le Vlaams Belang en Belgique.
Elle s’est implantée durablement au cœur des trois plus grands pays d’Europe. Le Front national s’affirme comme le premier parti en France tandis que Ukip fait exploser le système bipartisan britannique. L’Allemagne n’est pas épargnée, qui a vu l’AfD entrer en force dans les Länder lors des élections régionales de mars dernier.
L’Europe illustre ainsi le paradoxe de Tocqueville qui veut que les risques politiques remontent en flèche lorsque la crise s’atténue. Il est bien vrai que la lente reprise de l’économie européenne se consolide, avec une croissance qui pourrait atteindre 2 % dans la zone euro en 2017, la diminution du chômage, la stabilisation des déficits et de la dette publics. Simultanément, l’instabilité politique explose avec le référendum sur le Brexit, la vague des migrants marquée par 1,3 million d’arrivées en 2015 et plus de 190 000 depuis le début de 2016, les menaces sécuritaires liées au terrorisme islamique et aux ambitions de puissance des empires russe et turc.
La réduction des tensions économiques et financières va donc de pair avec l’emballement des passions politiques. Or la révolution a basculé à l’extrême droite depuis l’effondrement de l’URSS et du communisme. Les populismes d’extrême droite prospèrent sur les peurs que suscitent les grandes transformations historiques du début du XXIe siècle. Ils cultivent la haine de la mondialisation, de l’immigration, de l’islam et de l’Europe. Ils sont portés par la déstabilisation des classes moyennes, au confluent de la déflation, de l’universalisation du capitalisme et de la révolution numérique, par le désarroi identitaire et par les risques sécuritaires. Ils se nourrissent de la paralysie des institutions démocratiques et de l’impuissance de l’Union européenne qu’ils contribuent à rendre ingouvernables.
Aussi faut-il tirer les leçons de l’ultime avertissement lancé par les électeurs autrichiens. L’extrême droite ne relève plus de mouvements protestataires, mais se trouve en position d’accéder au pouvoir partout en Europe. La diversité de ces populismes n’enlève rien à la menace qu’ils représentent pour la démocratie et pour l’Europe.
Leur victoire impliquerait le blocage de toute réforme, la généralisation du protectionnisme indissociable d’une nouvelle grande dépression, l’éclatement inéluctable de la zone euro et de l’Union européenne, la disparition des libertés publiques comme il est montré en Hongrie et en Pologne, enfin l’installation d’une guerre civile permanente qui peut à tout moment s’élargir en conflits armés. Loin de rétablir l’ordre, l’extrême droite rajouterait donc le chaos politique à l’incertitude économique.
Nous savons, depuis l’effondrement d’Athènes lors de la guerre du Péloponnèse, que les démocraties meurent d’abord de l’intérieur, minées par la démagogie. Dès 1774, Burke avait prévenu que « le gouvernement et la loi relèvent du domaine de la raison et du jugement, non pas des émotions ou du désir ». Aux passions collectives des populismes, il faut opposer la raison et la modération. Plus les dirigeants sont faibles, plus la liberté dépend de la force des citoyens.
(Chronique parue dans Le Figaro du 30 mai 2016)