L’économie chinoise, tournée vers les services à haute valeur ajoutée, nécessite des réformes structurelles.
La diversité des valeurs et des institutions qui gouvernent le monde multipolaire est illustrée par la désignation des dirigeants des deux premières puissances du XXIe siècle, États-Unis et Chine. Aux États-Unis, au terme de deux années d’un féroce combat électoral, le président Obama est reconduit et l’équilibre du Congrès reste inchangé. En Chine, le 18e Congrès du Parti communiste, selon un rituel parfaitement codifié, a clos deux années d’une lutte opaque pour le pouvoir. Engagé depuis 2011 dans les provinces, le renouvellement de 70 % des responsables marque l’arrivée au pouvoir de la cinquième génération de dirigeants de la Chine populaire depuis 1949. Elle n’est plus composée d’acteurs de la Révolution mais de leurs héritiers, les Princes rouges, réunis autour de Xi Jinping, désigné secrétaire général du Parti avant d’accéder à la présidence de la République en mars 2013, et de Li Keqiang.
Les nouveaux dirigeants chinois sont confrontés à la transition la plus délicate depuis les quatre modernisations lancées par Deng Xiaoping en 1979. La dernière décennie a vu l’accélération du miracle économique. En dépit de la multiplication des chocs, le produit national a quadruplé et le revenu par tête a progressé de 1 132 à 5 584 dollars, permettant à la Chine de devenir la deuxième puissance économique mondiale. Pour autant, le modèle des Trente Glorieuses, fondé sur la faiblesse du coût du travail et du capital, sur la priorité à l’industrie et à l’exportation, est aujourd’hui caduc. Avec la crise des pays développés, la croissance a fortement ralenti, revenant de 10,5 à 7,5 % par an. La relance à crédit de 2009, portant sur près de 40 % du PIB, a créé des bulles spéculatives dans l’immobilier, les infrastructures et l’investissement industriel, ce qui entraîne une sous-utilisation des capacités de production (60 %) et des difficultés d’emploi pour les 7 millions de diplômés. Le ralentissement n’est pas conjoncturel mais structurel, lié à l’échec de la reconversion vers la demande intérieure (la consommation a chuté en dix ans de 44 % à 35 % du PIB), à l’explosion des inégalités sociales (5 % de la population concentre 62 % des richesses) et géographiques (les revenus des urbains sont 3,5 fois supérieurs à ceux des ruraux). S’y ajoutent les tensions politiques croissantes provoquées par une corruption endémique – y compris dans l’armée.
La poursuite du développement chinois impose des réformes radicales. La Chine doit basculer vers une économie de services à haute valeur ajoutée. Elle passe par la restructuration et la privatisation des entreprises d’État, qui génèrent 30 % des revenus tout en détenant 45 % des actifs, par la dynamisation de la demande intérieure à travers la poursuite des hausses de salaires (20 % par an depuis quatre ans), par l’ouverture des marchés financiers et par l’internationalisation du yuan-renminbi. Sur le plan social par la mise en place de l’Etat-providence alors que seuls 473 millions de Chinois bénéficient d’une assurance-santé et 284 millions d’une retraite. Sur le plan juridique par la construction d’un État de droit, clé d’une lutte efficace contre la corruption comme du respect de la propriété intellectuelle et industrielle. Sur le plan politique par une refonte de l’État et des gouvernements locaux. Soit autant de reculs du contrôle du Parti sur l’économie et la société.
Xi Jinping devra présider à un choix cardinal entre les réformes ou bien la répression intérieure et la montée des tensions internationales. Deux facteurs peuvent venir à l’appui du changement. D’abord, la Chine a réussi à redéfinir son modèle économique et social à chaque décennie depuis 1979. Ensuite, le leadership de Xi Ping semble s’inscrire en rupture avec le conservatisme de l’ère Hu Jintao. Le style de ses interventions est direct. Il dirige une commission resserrée de sept membres. Surtout, Xi Jinping accède à la fonction décisive de président de la commission des Affaires militaires qui lui donne le contrôle de l’armée. L’issue de la transition chinoise est loin d’être jouée. Mais Xi Jinping dispose de la légitimité et des moyens pour faire sienne la devise du prince de Salina, le Guépard de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »
(Chronique parue dans Le Point du 22 novembre 2012)