Toutes catégories confondues, la France compte 5,3 millions de chômeurs.
Neuf mois après sa prise de fonctions, il ne reste rien de la politique économique de François Hollande. En guise de chronique d’une reprise annoncée, l’Europe s’enfonce dans la récession. L’élimination des dépenses consacrées à l’investissement et à l’innovation dans le budget européen – du fait de l’alliance conclue entre Angela Merkel et David Cameron en réponse à la décomposition du couple franco-allemand provoquée par les attaques de Paris contre une chimérique volonté hégémonique de Berlin – réduit à néant le pseudo-pacte de croissance. Loin d’être derrière nous, la crise de l’euro est relancée par la récession (- 0,3 % en 2013 après – 0,5 % en 2012), par l’explosion du chômage et de la pauvreté, par l’ingouvernabilité de l’Italie et la déstabilisation des institutions espagnoles.
Mais c’est en France que le désaveu est le plus cinglant, transformant en cauchemar la promesse de réenchanter le rêve national. La croissance annoncée à 0,8 % sera négative en 2013. L’objectif central d’un déficit ramené à 3 % du PIB en 2013 pour prix d’un choc fiscal sans précédent est abandonné ; la mise en place d’une fiscalité confiscatoire le laissera frôler 4 % du PIB. La dette publique, qui devait être stabilisée, s’envolera à 95 % du PIB en 2014. Surtout, le chômage explose et dépassera cette année son record de 3,205 millions de chômeurs de janvier 2007. Loin de s’inverser, sa courbe va grimper sous l’effet de la récession dans la zone euro, mais plus encore de l’incohérence d’une politique économique dont le seul fil directeur est la haine de l’entreprise, du travail et de l’épargne.
Le chômage est un mal européen. Il touche 11,9 % de la population active dans la zone euro et 10,8 % de celle de l’Union, soit respectivement 19 et 26 millions de personnes. Il culmine chez les jeunes pour atteindre 25 % dans la zone euro et 24 % dans l’Union, créant une génération sacrifiée.
Ce désastre économique et social est loin d’être universel au sein des pays développés, où le taux de chômage est contenu à 7,9 % aux Etats-Unis et à 4,2 % au Japon. Son explication est à chercher dans la rechute dans la récession, qui a détruit 1 million d’emplois l’an dernier dans la zone euro, et, partant, dans le retard et les erreurs commises pour réagir à la crise des risques souverains. Force est en effet de constater qu’en Europe même coexistent des situations très diverses. D’abord, les Etats hors de la zone euro sont moins touchés, comme le montrent le Royaume-Uni, où le taux de chômage est limité à 7,7 % en dépit du sévère recul de l’activité, ou la Suède (8,1 %). Au sein même de la zone euro, le plein-emploi qui prévaut en Allemagne, aux Pays-Bas ou en Autriche – avec des taux de chômage de 5,3, 5,6 et 4,9 % – contraste avec les situations proches de celles des années 30 au Portugal, en Espagne ou en Grèce, où l’inemploi frappe 17,6, 26,2 et 27 % des actifs.
Aux côtés de l’Italie – où la hausse du taux chômage de 8 à 11,2 % constitue l’une des clés de la poussée du populisme -, la France, avec un taux de chômage de 10,6 %, semble appartenir à une catégorie intermédiaire. Cette apparente résistance est illusoire et le chômage demeure constitutif de l’exception française pour quatre raisons. La France est le seul grand pays développé qui n’est jamais sorti des chocs pétroliers et a échoué à renouer avec le plein-emploi depuis les années 70. Sous les 3,169 millions de chômeurs, on dénombre 4,7 millions de personnes qui cherchent du travail et jusqu’à 5,3 millions si l’on intègre les travailleurs découragés, soit 18 % de la population active. Du fait du déclin économique qui entre dans sa quatrième décennie, le chômage français comporte une composante structurelle très élevée (9,2 % de la population active). Enfin, notre marché du travail cumule des handicaps distinctifs : adossement à une démographie dynamique ; segmentation entre un noyau dur de travailleurs très protégés – à commencer par les 5,2 millions de fonctionnaires – et une masse de précaires qui supportent toute la flexibilité ; effondrement de la durée du travail et de la productivité ; poursuite de la hausse des salaires directs et indirects associée au durcissement permanent de la réglementation du travail ; absence de réforme du marché du travail, à l’inverse de tous les autres pays développés.
La politique conduite par François Hollande ne peut qu’amplifier le chômage. Le divorce avec l’Allemagne interdit une sortie de crise coordonnée de la zone euro. Le choc fiscal a fait basculer le pays dans la déflation avec une spirale à la baisse de l’activité et de l’emploi, de l’investissement et des revenus. Les charges imputées aux entreprises, dont le taux de marge est le plus faible d’Europe (28 %), multiplient les faillites (65 000 attendues en 2013) et vont provoquer la destruction de plus de 250 000 emplois dans le secteur privé au cours des prochaines années, tout en gelant les embauches. Dans ces conditions, le nombre d’emplois marchands, qui a diminué de 16,44 à 16 millions depuis 2008, va chuter autour de 15,5 millions de postes, en même temps que seront enregistrés 450 000 à 500 000 chômeurs supplémentaires par an. Ce qui crée un risque élevé de violence politique et sociale.
La France peut inverser la courbe du chômage en deux ans. Mais à la condition de changer radicalement de politique et de modèle économiques.
A court terme, il faut limiter la hausse du chômage en élargissant le recours au chômage partiel, en appliquant au plus vite l’accord social du 11 janvier 2013, en ciblant les emplois aidés sur le secteur marchand (d’autant que l’insertion dans l’emploi durable à la sortie est de 60 %, contre 24 % dans le secteur non marchand) et en adoptant une mesure immédiate de reconstitution de la marge des entreprises.
A moyen terme, il faut refonder la stratégie de la zone euro comme le modèle français. La zone euro doit casser la déflation à la japonaise qui la menace, non par une politique de relance de la dépense publique, mais par un nouvel équilibre entre, d’une part, la modération et l’étalement dans le temps de l’ajustement budgétaire et, d’autre part, l’accélération des réformes structurelles permettant de dynamiser la croissance potentielle. La France doit rompre définitivement avec le modèle insoutenable d’une décroissance tirée par les dépenses publiques et l’euthanasie de l’activité et de l’emploi privés. La lutte contre le chômage passe d’abord par la création d’emplois marchands. Elle implique le démantèlement de la fiscalité confiscatoire qui bloque le travail et l’épargne tout en faisant fuir les talents, les capitaux et les centres de décision des entreprises, la diminution du coût du travail via la baisse des charges liée aux coupes dans les dépenses sociales, la libéralisation du marché du travail et des secteurs protégés, la réforme de l’assurance-chômage, aujourd’hui en faillite (5 milliards de déficit et 18 milliards de dettes cumulées à fin 2013), la réorientation de la politique de l’emploi (52 milliards) vers le retour à l’emploi et de la formation pour les travailleurs précaires qui en sont aujourd’hui exclus, le développement de l’apprentissage et d’un formidable effort de prévention de l’exclusion scolaire, qui laisse 161 000 jeunes sortir chaque année du système éducatif sans aucune formation. Il n’y aura pas d’inversion de la courbe du chômage sans croissance. Et pas de croissance sans une transformation en profondeur du modèle français, aussi insoutenable financièrement que destructeur pour l’activité et pour l’emploi.
(Chronique parue dans Le Point du 07 mars 2013)