La zone euro ferait bien d’imiter la politique monétaire américaine. Même si elle n’est pas sans risque.
La politique monétaire américaine joue un rôle déterminant dans la mondialisation, instrument de la désinflation avec Paul Volcker, de la formation des bulles spéculatives avec Alan Greenspan, puis de la lutte contre la déflation à partir de 2007 avec Ben Bernanke. Avec trois objectifs. L’établissement durable des taux d’intérêt à zéro vise à éviter la faillite en cascade des Etats, banques, entreprises et ménages au moment où les dettes publiques et privées atteignent 280 % du PIB des pays développés. La création massive de monnaie par l’achat de titres qui viennent gonfler le bilan de la banque centrale entend réamorcer la croissance. La baisse de la devise qui en résulte cherche à rééquilibrer les balances commerciales et les paiements courants.
La stratégie d’assouplissement quantitatif a prouvé son efficacité aux Etats-Unis. Le rythme de croissance est stabilisé à 2 % et le taux de chômage a été réduit à 7,7 % de la population active. La demande des ménages a été ranimée par la création de plus de 2,5 millions d’emplois depuis la fin 2010. La production a été relancée par les gains de productivité du travail, la baisse du coût de l’énergie, la restructuration du secteur financier et le haut niveau d’investissement. La baisse du dollar de 25 % depuis 2009 a permis la percée des exportations.
Le succès de la politique monétaire américaine a fait des émules au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Le Japon de Shinzo Abe s’y est rallié en changeant radicalement de stratégie pour casser la déflation qui sévit depuis vingt ans. Seule la zone euro fait pour l’heure exception, au prix de la récession et d’un chômage de masse qui touche 12 % de la population active. Il ne fait donc pas de doute que la BCE devra à son tour ramener ses taux à zéro, encourager la baisse de l’euro et se lancer dans des programmes d’achats non stérilisés d’actifs si elle veut bloquer la déflation et favoriser la reprise.
L’assouplissement quantitatif cache une révolution. La crise conduit à remettre en cause la conception absolutiste de l’indépendance des banques centrales. Leur mandat se trouve élargi et réorienté vers la croissance, la lutte contre le chômage et la stabilité financière. La création monétaire et le crédit jouent désormais le rôle de la politique budgétaire dans les années 60 en fondant le réglage de l’activité. Le pivot est le bilan des banques centrales, qui s’est formidablement gonflé (25 % du PIB au Royaume-Uni, 30 % aux Etats-Unis, 60 % au Japon à fin 2014 contre 3 % pour la BCE).
Cette nouvelle donne n’est pas sans risques. La création débridée de liquidités constitue une inflation différée qui peut sortir de tout contrôle si la croissance ne revient pas. Elle favorise le retour des bulles spéculatives. L’enchevêtrement des bilans des Etats, des banques centrales et des banques constitue un risque systémique majeur. Enfin, le décrochage des grandes devises nourrit les tentations de guerre commerciale.
La situation des pays développés ne permet pas d’alternative aux politiques monétaires d’assouplissement quantitatif pour conjurer le risque de déflation. Le sevrage brutal est impossible, comme le montre la dépression dans laquelle une austérité excessive a plongé la zone euro. Pour autant, les banques centrales ne peuvent pas tout. Il est impératif pour les Etats-Unis de commencer à réfléchir sur la sortie de l’assouplissement quantitatif au moment où la zone euro doit s’y engager. La réussite de la politique monétaire dans la lutte contre la crise dépend par ailleurs de trois facteurs : la capacité des Etats à réaliser les réformes indispensables au renouveau de la croissance ; le renforcement de la solidité du système financier ; le développement de la coopération des banques centrales pour éviter le protectionnisme et la guerre entre les monnaies.
(Chronique parue dans Le Point du 02 mai 2013)