La richesse des nations en convalescence passe aussi par l’innovation.
L’innovation est le moteur du capitalisme dans ses phases d’expansion mais aussi de la sortie de ses grandes crises. L’innovation technologique peut être soit radicale – comme dans le cas du moteur à explosion ou du véhicule électrique, des antibiotiques, de l’énergie nucléaire, de la mécanisation du calcul par l’informatique -, soit progressive – à l’image des véhicules hybrides, du train à grande vitesse, des immeubles à énergie positive, des smartphones ou des tablettes. Mais l’innovation touche également l’organisation du travail et des entreprises, la régulation du capitalisme, la vie sociale, les systèmes de pouvoir et les équilibres géopolitiques.
Ainsi, la longue stagnation de la fin du XIXe siècle prit fin avec la deuxième révolution industrielle, la construction des grands groupes et du lien salarial, la poussée d’une première vague d’émergents : Canada, Australie et Nouvelle-Zélande, Argentine et Chili, Japon, Russie et Turquie. Au même moment, les États-Unis prirent, avec le leadership de l’innovation, celui de l’économie mondiale. La grande dépression des années 1930 ne trouva d’issue qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec le pilotage keynésien de l’activité par l’État et les systèmes de protection sociale qui stabilisèrent la production et la consommation de masse. Les chocs pétroliers qui précipitèrent la spirale de l’inflation et du chômage des années 1970 furent surmontés par les technologies de l’information, la libéralisation et la mondialisation. Le centre de gravité du capitalisme se déplaça vers l’Est, l’effort de recherche de l’Asie dépassant celui de l’Europe depuis 1998.
La gigantesque déflation par la dette qui ébranle l’économie mondialisée depuis 2007 est loin d’être derrière nous. Le surendettement des États et le chômage de masse brident la croissance. Les politiques d’expansion monétaire relancent la formation de bulles spéculatives via les marchés financiers au Nord et le crédit dans les pays émergents. Le vieillissement joue contre l’investissement. Dans ces conditions, l’innovation est plus que jamais la clé du développement et de l’emploi, comme de la nouvelle donne du XXIe siècle. Dans un monde qui comptera 9,5 milliards d’habitants à 60 % urbains, elle concernera en priorité l’information, les biotechnologies, l’environnement avec la transition vers une économie décarbonée.
En témoigne la compétitivité retrouvée des États-Unis, fondée sur l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels qui en fera le premier producteur mondial de pétrole à l’horizon 2020, sur la progression des dépenses de R & D (380 milliards de dollars) qui assurent leur domination dans les nouvelles technologies, sur la rupture de stratégie monétaire introduite par Ben Bernanke à la tête de la Fed avec le « quantitative easing ». De son côté, la Chine, afin d’échapper au blocage de son développement comme nombre de pays à revenus intermédiaires, est devenue le premier déposant de brevets (526 000) – devant les États-Unis (503 000) -, ce qui la conduit à mettre en place une protection juridique de la propriété intellectuelle. En Europe, la Suède résiste à la crise grâce à la refondation de son modèle économique autour de l’innovation, avec une économie de la connaissance qui représente comme aux États-Unis 7 % du PIB. C’est l’innovation qui permet aux social-démocraties scandinaves de concilier compétitivité économique et haut niveau de solidarité.
Au plan microéconomique, l’innovation s’affirme également comme le cœur de la création de valeur et du développement durable. Samsung -symbole de la réussite coréenne- a construit sa puissance en devenant le premier déposant de brevets mondial. Dans l’automobile, qui a atteint une production record de 81,5 millions de véhicules en 2012, les suprématies allemande, japonaise et coréenne, comme la renaissance américaine, s’expliquent par l’intensité de l’innovation, notamment dans les domaines des véhicules propres, de l’assistance au pilotage, des connexions. En France, les deux secteurs industriels qui se distinguent par leur compétitivité sont le luxe et l’aéronautique qui associent un fort investissement dans l’innovation à une organisation en filière de production.
L’innovation fait la richesse des entreprises et des nations. La France doit en tirer les conclusions en comblant le retard qu’elle a accumulé et qui se traduit par sa chute au seizième rang mondial. Avec pour priorité le décloisonnement entre les entreprises et la recherche, la libération du financement de la R & D du secteur privé (1,4 % du PIB contre 2 % en Allemagne) par la normalisation de la fiscalité, l’investissement dans l’économie de la connaissance pour valoriser un gisement potentiel de 2,2 millions d’emplois, l’attractivité envers les cerveaux et les entrepreneurs (150 000 jeunes ont été contraints à l’exil depuis 2008). Après des décennies d’appauvrissement par la dette et le chômage, la France et les Français doivent s’enrichir par le travail et l’innovation.
(Chronique parue dans Le Figaro du 27 mai 2013)