Le risque d’un nouveau krach financier est réel. Et cette économie des bulles pourrait éclater en Asie.
La déflation par la dette qui mine l’économie mondiale depuis 2007 n’a pas fait disparaître l’économie de bulles. La liquidité est reine. Paradoxalement, le désendettement nourrit la bulle par la conjonction de la réduction des bilans et de l’émission massive de liquidités par les banques centrales afin de prévenir le défaut des États et des institutions financières, des entreprises et des ménages. La multiplication des liquidités, ne pouvant aller vers l’investissement productif limité par la faiblesse de la demande et l’incertitude, s’oriente massivement vers les actifs financiers, alimentant la spéculation. Elle se déverse également dans les pays émergents, confortant les déséquilibres d’une croissance tirée par la dette privée et le crédit bancaire.
Dans les pays développés, la croissance plafonne à 1 % et la dette publique s’élève à 111 % du PIB – proche du plus haut historique atteint en 1945 à 116 % du PIB. Pourtant, le Dow Jones bat ses records pour tendre vers la barre historique des 15 500 points, en hausse de plus de 80 % depuis 2009. Or si les États-Unis connaissent une renaissance de leur industrie, portée par les gains de productivité du travail, la baisse du coût de l’énergie et l’intensité de l’innovation, la croissance plafonne autour de 2 %, l’emploi et la richesse des ménages n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant crise et la dette publique atteint 105 % du PIB. Même en Europe, les Bourses flambent alors que la zone euro est en récession pour la deuxième année consécutive et que le chômage frappe 12,2 % de la population active.
Les actions n’ont nullement le monopole des excès spéculatifs. Le stock d’obligations souveraines a crû de 15 400 milliards de dollars depuis 2007. Les obligations d’entreprise à haut risque et fort rendement ont doublé par rapport à leur niveau d’avant crise et se sont appréciées de 15 % en 2012, dopées par la faiblesse des taux d’intérêt. Les encours des fonds indiciels cotés ont dépassé 2 000 milliards de dollars, soit un triplement depuis 2009. L’or, pour sa part, a vu son prix multiplier par sept en dix ans avant de chuter de plus de 30 %.La prochaine crise économique majeure pourrait cependant venir d’Asie. Au Japon, l’indice Nikkei s’est envolé de plus de 80 % depuis novembre 2012 sous l’effet de la politique de relance dite des Abenomics, avant de connaître deux chutes brutales de 7,3 et 5,15 %, les 23 et 30 mai, en raison de la persistante mollesse de l’activité industrielle et des exportations. Dans le même temps pointent une hausse et une volatilité des taux d’intérêt sur les obligations d’État qui financent la pharaonique dette publique de 240 % du PIB. En Chine l’activité ralentit autour de 7,5 %, alors que la dette privée non bancaire culmine à 190 % du PIB, en hausse de 60 points de PIB depuis 2008. En Inde, la croissance plafonne à 5 % pour une dette privée de 80 % du PIB.
Dans les pays émergents, les bulles comportent une double dimension. Externe avec le déversement des liquidités créées par les banques centrales des pays développés qui ne trouvent pas de débouchés dans l’investissement productif au nord : les émergents accueillent ainsi 32 % des mouvements de capitaux, contre 5 % en 2000. Interne avec l’envolée du crédit bancaire, qui joue désormais le même rôle de pilotage de la conjoncture que les dépenses budgétaires pour les pays développés dans les années 1960. Le risque est donc réel d’un nouveau krach financier à l’horizon de deux à trois ans. Il porterait un coup fatal à la mondialisation, puisque tous les moyens de la politique économique ont été mobilisés depuis 2008 – sans doute déjà au-delà du raisonnable – pour éviter une dépression comparable à celle des années 1930.
Les banques centrales se trouvent confrontées à une alternative infernale : resserrer la liquidité au risque de rechuter dans la récession comme la zone euro en fait la désastreuse expérience ; poursuivre l’assouplissement quantitatif au risque de reproduire l’erreur commise par la Fed après 2001 en fabriquant, avec les bulles, le krach qui en est l’aboutissement inéluctable.
Ce dilemme peut être surmonté à cinq conditions :
- Engager un sevrage monétaire progressif dès que la croissance et l’emploi seront stabilisés.
- Renforcer la surveillance du système financier et bancaire, y compris dans les pays émergents.
- Institutionnaliser la coopération entre les banques centrales.
- Prévenir le protectionnisme et la guerre des monnaies, notamment en Asie.
- Enfin, accélérer la transformation des modèles économiques nationaux afin de relancer la croissance, seul antidote aux bulles comme au surendettement, tout en réduisant les tensions de la mondialisation.
(Chronique parue dans Le Figaro du 10 juin 2013)