Le nouveau président Hassan Rohani, religieux modéré, incarne un espoir de changement.
En dépit de la disqualification des candidats réformateurs par le Guide suprême, Ali Khamenei, l’élection présidentielle iranienne a souligné la vitalité et le désir de changement de la société civile. La répression sauvage du Mouvement vert de 2009, qui avait contesté l’élection truquée de Mahmoud Ahmadinejad, n’a pas dissuadé 72 % des 50 millions d’électeurs de voter et d’élire dès le premier tour avec 51 % des voix Hassan Rohani, religieux modéré, contre le favori conservateur, Saïd Jalili.
L’élection du 14 juin 2013 sonne comme un référendum contre Mahmoud Ahmadinejad, qui a ruiné l’Iran et l’a mis au ban des nations, sacrifiant tout à l’acquisition de l’arme nucléaire. En dépit des quatrièmes réserves mondiales de pétrole et des premières réserves de gaz devant la Russie, l’Iran est en faillite. Il cumule la récession à hauteur de 3 % du PIB en 2012-2013, une inflation de 31 %, un effondrement de la monnaie avec une dévaluation de 70 % du rial face au dollar. Il en résulte une explosion du chômage, qui touche officiellement 3 millions de personnes mais en réalité plus de 12 millions, frappant en priorité les jeunes et notamment les 900 000 diplômés. D’où une multiplication des grèves et des manifestations au sein du bazar. Le régime et le clergé chiite sont désormais totalement discrédités et ne survivent que par la terreur qu’impose un gigantesque appareil de répression organisé autour des Pasdarans, qui ont parallèlement pris le contrôle du tiers de l’économie et organisent la contrebande génératrice d’une corruption endémique.
Tout découle de la volonté des ayatollahs de sanctuariser leur régime grâce à la possession de l’arme nucléaire tout en construisant un vaste croissant chiite jusqu’à la bande de Gaza. Les sanctions internationales qui ont été mises en place pour contrer le programme nucléaire militaire se sont révélées efficaces. L’embargo sur le commerce pétrolier et les transactions financières a divisé par deux les exportations de pétrole, qui représentaient 55 % des recettes publiques en dépit de la poursuite des opérations avec la Chine, l’Inde ou la Russie. L’impopularité du régime et la paupérisation rapide de la population sont allées de pair avec une politique extérieure agressive visant à la constitution d’un Chiistan avec pour alliés le Hamas, le Hezbollah, l’Irak et la Syrie de Bachar el-Assad. Au prix d’une guerre ouverte avec l’islam sunnite et son leader, l’Arabie saoudite, contre laquelle les Iraniens multiplient les attentats et les cyberattaques ciblant les installations pétrolières.
Cette stratégie est aujourd’hui dans l’impasse. La révolution de la liberté de 2009 a été écrasée par la violence mais survit dans les têtes, avec une délégitimation définitive de la République islamique. L’économie est exsangue et la société en révolte larvée, notamment les classes moyennes et la jeunesse éduquée. Le printemps arabo-musulman, qui est né à Téhéran en 2009 et gagne aujourd’hui la Turquie, ne demande qu’à renaître de ses cendres. Au plan international, l’Iran est isolé et voit son pouvoir de nuisance se réduire avec la perspective des États-Unis de redevenir le premier producteur mondial d’hydrocarbures à la fin de la décennie 2010. Enfin, la guerre religieuse lancée contre l’Occident s’efface devant une lutte à mort interne à l’islam entre sunnites et chiites qui peut à tout moment se retourner contre l’Iran en l’entraînant dans le chaos.
L’élection d’Hassan Rohani, candidat validé par le Guide suprême, ne marque pas une rupture mais peut entraîner une inflexion au sein du régime. Sa campagne a en effet eu le courage de souligner le cœur de l’impasse iranienne, à savoir le lien intime de la crise économique et sociale avec le programme nucléaire qui s’est exprimé dans le slogan : « À quoi sert de faire tourner des centrifugeuses si l’économie ne tourne pas ? » Alors même que les conservateurs préparaient, sur le modèle chypriote, une saisie de 20 % sur l’ensemble des comptes bancaires ainsi que la mise en place de quotas d’importation drastiques, Hassan Rohani fait de la reconquête de la confiance du monde extérieur le socle de la reconstruction économique.
La théocratie iranienne d’Ali Khamenei se trouve dans une situation voisine de celle de l’Union soviétique de Nikita Khrouchtchev. La foi des citoyens dans le régime et son idéologie a disparu et la crainte s’affaiblit. L’économie s’effondre et la population s’appauvrit sous le poids d’une bureaucratie inefficace et corrompue, du financement des programmes d’armement, du soutien des alliés extérieurs, qu’il s’agisse des mouvements terroristes ou de la Syrie de Bachar, qui bénéficie d’une ligne de crédit de 4 milliards de dollars.
La tragédie iranienne reste celle d’une modernisation ratée, car portée depuis 1925 par la dynastie des Pahlavi à l’orientation de plus en plus dictatoriale et par les puissances occidentales, Royaume-Uni puis Etats-Unis. La coalition hétéroclite des religieux, des libéraux et des marxistes qui fit la révolution de 1979 bascula rapidement en faveur de l’ayatollah Khomeyni, qui, seul, disposait d’un programme politique mêlant nationalisme et théocratie. Il n’existe pas aujourd’hui de classe politique ou de projets alternatifs. Le drame iranien se dénouera de l’intérieur sous la pression du déclin économique et de l’émancipation de la société. Soit à la soviétique avec l’effondrement interne du régime. Soit à la chinoise avec un nouveau cours au sein du régime.
L’Iran dispose de tous les atouts pour prendre place dans une nouvelle vague de pays émergents : une population dynamique, une classe moyenne éduquée, une forte tradition d’entrepreneurs et de commerçants, de formidables ressources naturelles, du capital, une forte cohésion nationale ancrée dans une civilisation millénaire. La mission d’Hassan Rohani paraît impossible, qui consiste à débloquer l’économie sur laquelle il aura la haute main sans rien céder sur la conduite du programme militaire qui relève de la seule autorité du Guide suprême. Mais son élection lui donne des marges de manœuvre qu’il lui appartient d’utiliser. Les États-Unis ne s’y trompent pas, qui se préparent activement à renouer le dialogue et utilisent le durcissement du régime des sanctions afin de faire place nette pour leurs entreprises le jour où l’Iran s’éveillera.
(Chronique parue dans Le Point du 25 juin 2013)