Les BRIC ont vécu leur heure de gloire. Place à une nouvelle vague de pays émergents.
Comme en Turquie, les violentes émeutes qui ont jeté plus de 1 million de personnes dans les rues d’une centaine de villes du Brésil ont éclaté comme un coup de tonnerre dans un ciel apparemment serein. Pourtant, au-delà de la protestation contre les hausses des tarifs dans les transports, elles sanctionnent l’enrayement avéré du miracle brésilien. Après une décennie de croissance exceptionnelle (5 % par an) qui a porté le revenu par habitant de 7 500 à 11 800 dollars et fait émerger une classe moyenne de 90 millions de personnes, l’activité n’a crû que de 0,9 % en 2012 du fait de la politique étatiste et protectionniste conduite par Dilma Rousseff. Le développement est bloqué par un lancinant problème de compétitivité qui trouve son origine dans un coût du travail deux fois plus élevé qu’au Mexique et une fiscalité élevée destinée à financer une généreuse politique sociale, notamment les 40 millions de bénéficiaires du programme Bolsa Familia. La corruption endémique et la gabegie qui président à la préparation de la Coupe du monde de football de 2014 et des Jeux olympiques de 2016 ont achevé de déstabiliser la fragile alchimie de la croissance intensive, du progrès social et du désendettement réalisée par le président Lula.
La crise brésilienne est exemplaire du trou d’air que traversent les BRIC, qui ont généré les quatre cinquièmes de la croissance mondiale depuis vingt ans. La croissance est revenue de 10,5 à 7,5 % en Chine, de 8 à 5 % en Inde, de 5 à 1 % en Russie et elle plafonne à 2 % en Afrique du Sud, alors qu’elle dépasse 7 % au Mozambique, en Zambie, au Botswana ou au Zimbabwe. Sous ce ralentissement pointe un épuisement du modèle de rattrapage fondé sur les exportations en direction des consommateurs des pays industrialisés, touchés de plein fouet par le chômage, la chute de leurs revenus et le surendettement. La réorientation vers la demande intérieure trouve ses limites avec l’explosion de la dette privée qui atteint 190 % du PIB en Chine, 90 % au Brésil, 80 % en Inde, générant de dangereuses bulles spéculatives dans les secteurs de l’immobilier, de la finance, des matières premières. Le freinage économique se double d’un fort malaise social, qui s’exprime par les émeutes contre les spoliations de terres, la dégradation de l’environnement et la corruption en Chine, contre la prévarication et les violences faites aux femmes en Inde, contre l’autoritarisme de Vladimir Poutine en Russie, contre les conditions de travail des mineurs en Afrique du Sud.
Mais, au moment où les BRIC sont rattrapés par la crise économique et sociale, une nouvelle vague d’émergents relance la dynamique de la mondialisation. En Asie, l’Indonésie, forte de ses 240 millions d’habitants et de ses ressources naturelles, affiche une croissance de 6,2 %, une inflation contenue à 5 % et une dette publique réduite à 21 % du PIB. L’activité progresse sur un rythme de 7,8 % aux Philippines, de 6,8 % en Thaïlande, de 5,8 % en Malaisie. En Amérique du Sud, le Mexique éclipse le Brésil avec une croissance de 4 %, tandis que le développement accélère en Colombie et au Pérou pour atteindre 6,2 % et 6,3 % par an. En Afrique, le Nigeria, en dépit de son instabilité et des clivages ethniques et religieux qui divisent ses 162 millions d’habitants, voit sa production augmenter de 10,2 % par an avec une dette publique de 18 % du PIB. Au Moyen-Orient, la puissance émergente était la Turquie, aujourd’hui déstabilisée.
Si ces pays sont très hétérogènes, la dynamique du développement comporte des points communs. L’insertion dans la mondialisation. L’urbanisation qui permet de réduire la sous-productivité et la pauvreté dans les régions rurales. La diversification de l’activité vers l’industrie et les services. Les gains de productivité du travail et d’efficacité du capital dans des pays où la dette publique est très réduite et la dette privée limitée par la faiblesse du système bancaire. La concentration des investissements publics dans les infrastructures, dans l’éducation et la santé. La réforme des États afin de les rendre moins prédateurs et la montée en puissance du marché. Ainsi voit-on l’Indonésie s’engager avec succès dans la normalisation des subventions à la consommation de carburants, tandis qu’au Mexique le président Enrique Peña Nieto engage une réforme historique du système éducatif, instaure la concurrence dans les télécommunications et dans l’énergie avec la fin du monopole de Pemex (Petroleos Mexicanos) et rationalise le système fiscal afin de porter la croissance au-delà de 5 % par an.
Après les pays neufs du début du XXe siècle – Argentine et Chili, Australie et Nouvelle-Zélande, Russie et Turquie -, après les Dragons asiatiques – Singapour et Hongkong, Corée du Sud et Taïwan -, après les Vingt Glorieuses des BRIC, une nouvelle vague d’émergents s’insère dans le capitalisme désormais universel. La croissance du XXIe siècle sera créée pour les trois quarts par le Sud, portée par l’accession à la classe moyenne de 4,9 milliards de personnes en 2050. Le défi pour les pays développés consiste à s’adapter à ce grand basculement vers le Sud sans céder au protectionnisme qui les couperait du moteur de la demande. Le défi pour les pays émergents consiste à répondre aux aspirations de leurs classes moyennes en se réformant pour conjurer le risque de révolutions qui casseraient leur décollage, à l’image de la Russie en 1917 ou de l’Iran en 1979.
(Chronique parue dans Le Point du 25 juin 2013)