Le surendettement des États et ses conséquences doivent être pris très au sérieux : ils menacent nos démocraties
Au moment où Janet L. Yellen s’apprête à prendre la tête de la Réserve fédérale américaine (Fed), la reprise mondiale reste entre les mains des banques centrales. Depuis la faillite de Lehman Brothers, elles ont contré la déflation en créant massivement des liquidités à travers les mesures non conventionnelles, en générant de la stabilité pour apaiser la volatilité des marchés, en multipliant les accords stratégiques afin d’assurer la continuité des paiements mondiaux.
La normalisation progressive des politiques monétaires dépend de deux facteurs. Le premier, économique, est le chômage : l’amélioration du marché du travail dans plusieurs pays développés, notamment aux États-Unis, doit plus aux retraits d’activité des travailleurs découragés qu’à la création d’emplois. Le second, financier, concerne la dette. Le désendettement des ménages et des entreprises ainsi que la recapitalisation du système bancaire ont été obtenus au prix d’une explosion de la dette publique.
Sous le feuilleton du relèvement du plafond de la dette américaine pointe le problème central de la soutenabilité de la dette publique et des engagements des États. Ils sont le produit de l’économie de bulle des années 2000 et des politiques de reflation mises en place depuis 2008. Trois types de situation coexistent. Les grands pays développés sont confrontés au vieillissement démographique, au ralentissement de la croissance potentielle et au surendettement, à l’image des États-Unis (dette de 108 % du PIB) ou du Japon (dette de 245 % du PIB). La vulnérabilité de la zone euro persiste en raison d’institutions et de règles inadaptées, de l’insoutenabilité de la dette des pays du Sud (Grèce, Italie, Portugal, Espagne) ainsi que de la fragilité du système bancaire. Enfin, dans les pays émergents, le crédit bancaire et la dette privée se sont envolés.
Les risques du surendettement public sont donc devant nous. Les uns sont systémiques. D’abord, le défaut d’un grand État, comme les États-Unis du fait de la paralysie de leur système politique ou du Japon si le gouvernement Abe se révélait incapable de réaliser les réformes structurelles envisagées. Le défaut même partiel et temporaire des États-Unis serait un cataclysme pire que la faillite de Lehman Brothers : la récession américaine – avec une chute de 4 % du PIB – s’étendrait rapidement à l’économie mondiale ; elle serait amplifiée par un krach obligataire et une chute du dollar qui plongeraient dans le chaos les échanges et les paiements internationaux (la Chine et le Japon possèdent 43 % de la dette américaine détenue en dehors des États-Unis). Ensuite, un krach obligataire du type de celui de 1994 en cas de sortie trop rapide des politiques monétaires non conventionnelles et de remontée des taux d’intérêt. Enfin, une guerre des monnaies avec des dévaluations compétitives en chaîne qui déboucheraient sur le protectionnisme. Les autres risques sont régionaux. Ils restent élevés dans la zone euro en raison de la faiblesse de la croissance potentielle, des effets de contagion entre les dettes publiques et les banques, du flou qui entoure le soutien des États par le Mécanisme de solidarité et par la BCE. Dans le même temps, les émergents qui cumulent inflation, déficit courant et endettement extérieur sont déstabilisés par la grande rotation des capitaux, à l’image de l’Inde, du Brésil, de la Turquie ou de l’Afrique du sud.
Les conséquences négatives du surendettement des États sont incontestables. Sur le plan économique, la baisse de la croissance potentielle et de l’emploi. Sur le plan financier, le risque de krach du fait de la volatilité de marchés et de l’exposition des bilans bancaires. Sur le plan social, le transfert de richesse des pauvres vers les détenteurs de capitaux. Sur le plan politique, la perte de souveraineté et de crédibilité du politique qui n’épargne plus les États-Unis.
Pour échapper à des défauts de paiement catastrophiques qui ne bénéficieront qu’aux démagogues, trois voies sont ouvertes. La croissance doit recevoir une absolue priorité car la dette n’est soutenable que si la progression de l’activité est supérieure au taux d’intérêt nominal : Angela Merkel l’a compris, qui place son nouveau mandat sous le double signe du désendettement et de l’innovation. L’inflation, avec pour compagnon de route la dévaluation compétitive, est utilisée par les États-Unis et les émergents, mais refusée pour l’heure par la zone euro. Enfin s’impose la maîtrise des dépenses publiques, notamment dans le domaine des transferts sociaux en Europe ; la hausse des impôts reste un recours possible aux États-Unis, où les recettes publiques restent limitées à 26 % du PIB contre 43 % en Europe et 53 % en France.
Au-delà des impératifs économique et financier, le désendettement public constitue la clé de la cohésion sociale car il détermine la pérennité des mécanismes de solidarité et la restauration des équilibres entre les générations. Il représente surtout un test décisif pour la capacité des institutions démocratiques à prendre les décisions indispensables à la survie des nations libres.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 octobre 2013)