La crise budgétaire américaine devrait coûter 0,6 point de PIB. Mais ce n’est pas tout…
Au terme d’un psychodrame de trois semaines, les États-Unis ont finalement trouvé un accord budgétaire qui permet la réouverture des administrations fédérales et évite le défaut de paiement en rehaussant le plafond de la dette. En apparence, les marchés financiers ont eu raison de ne pas s’inquiéter outre mesure : le gouvernement des États-Unis est en ordre de marche et chacun retourne au business as usual. En réalité, rien n’est réglé. Le problème est simplement reporté : le financement des services fédéraux n’est assuré que jusqu’au 15 janvier et le Trésor n’est autorisé à recourir à des emprunts supplémentaires que jusqu’au 7 février. Une nouvelle crise est donc programmée pour début 2014.
Surtout, les séquelles de la paralysie du système politique américain et du climat de guerre civile entretenu par les tenants du Tea Party sont lourdes et durables. Sur le plan économique, le coût de la fermeture des administrations fédérales est estimé à 24 milliards. L’impact négatif sur la croissance devrait atteindre 0,6 point de PIB. Il fragilise la reprise, alors que 22 millions d’Américains restent sans emploi à temps complet.
Sur le plan financier, le nouveau blocage du système de séparation des pouvoirs devrait entraîner la perte de la notation AAA accordée à la dette des Etats-Unis par Fitch, après celle effectuée par Standard – Poor’s en 2011. Par ailleurs, la dette publique des États-Unis devient difficilement soutenable. Elle est passée de 6 000 à 16 700 milliards de dollars en dix ans et atteint 110 % du PIB, pesant négativement sur la croissance et sur l’emploi. L’ajustement nécessaire pour la ramener à 60 % du PIB en 2030 s’élève à 12 points de PIB. La croissance et le recours à une inflation modérée ne suffiront pas à le combler. Des hausses d’impôts et des coupes dans les dépenses sociales sont indispensables, mais les républicains excluent les premières et les démocrates les secondes.
Sur le plan monétaire, la Fed va continuer à stabiliser l’économie américaine en achetant massivement des titres (85 milliards de dollars par mois) pour contrebalancer les turbulences créées par les dérèglements du système politique. La normalisation des politiques monétaires non conventionnelles mises en place pour éviter une grande déflation en 2008 se trouve compliquée et retardée. Dans le même temps, la chute du dollar s’amplifie. À court terme, la volatilité du marché des devises et le risque de guerre des monnaies sont accrus. À long terme, la contestation du privilège exorbitant du dollar comme monnaie internationale grandit. Elle se traduit par l’accélération de l’internationalisation du yuan par la Chine, avec pour objectif affiché la remise en question du monopole du dollar.
Sur le plan politique intérieur, l’épreuve de force s’achève par la déroute des républicains. Ils n’ont obtenu aucune concession significative et ont échoué à faire ajourner la réforme de la santé dite Obamacare ; à l’inverse, ils sortent encore plus divisés d’une crise artificielle et impopulaire qui est mise à leur débit tant par l’opinion publique que par la communauté des affaires. Mais Barack Obama émerge également très affaibli. Il a été mis en porte-à-faux sur le plan des libertés fondamentales par les polémiques autour des exécutions par les drones et des écoutes de la NSA et défait diplomatiquement par la Russie et l’Iran dans la crise syrienne. Son autorité n’a cessé d’être battue en brèche et il fait déjà figure de lame duck, statut normalement réservé aux derniers mois du mandat d’un président qui ne se représente pas.
La crise budgétaire et financière américaine rappelle, pour le meilleur et pour le pire, le primat du politique. Trois enseignements en ressortent. Les banques centrales, qui tiennent à bout de bras l’économie mondiale depuis 2008, ne pourront éternellement suppléer la faiblesse et l’irresponsabilité des dirigeants des démocraties. La solution de long terme aux crises budgétaires à répétition des États-Unis réside dans le désendettement et la rupture avec la croissance à crédit. Le leadership est indissociable de l’autorité des dirigeants ainsi que du caractère prédictible et effectif de leurs décisions. Le double déficit qui mine les démocraties n’est pas limité à l’économie, avec les comptes publics et extérieurs ; il est d’abord politique, avec la perte de légitimité de la parole publique et la perte d’efficacité de l’action publique.
(Chronique parue dans Le Point du 24 octobre 2013)