Le continent ne peut se laisser voler le moment historique de son décollage.
Depuis 2000, l’Afrique s’est libérée de la malédiction du mal-développement et a effectué son décollage avec une croissance de 5,5 % par an. L’essor économique du continent est allé de pair avec d’importants progrès en termes de gouvernance. La dynamique émergente de l’Afrique a résisté jusqu’à présent tant à la crise du capitalisme universel qu’au choc sanitaire créé par le virus Ebola. Et ce en raison d’une croissance largement fondée sur la réduction de la pauvreté, de 50 à 31 % de la population depuis 1990, sur la constitution d’une vaste classe moyenne de plus de 300 millions de consommateurs, sur la montée en puissance du marché et de la société civile.
Depuis 2014, l’Afrique est certes touchée par la fin de l’hyper-croissance de la Chine, par la chute du prix du pétrole et des matières premières et par sa vulnérabilité particulière face au réchauffement climatique. Mais elle témoigne cependant d’une étonnante capacité de résilience vis-à-vis des chocs extérieurs. La croissance atteindra 4,4 % en 2016, contre 2,9 % pour l’économie mondiale, et 4,8 % en 2017. Elle culmine à 10,4 % en moyenne en Ethiopie depuis une décennie et dépasse 7 % en Côte d’Ivoire, au Mozambique, au Rwanda et en Tanzanie.
Les véritables risques viennent donc moins des secousses de l’économie mondiale que des évolutions politiques internes. Quatre périls se conjuguent. La poussée de l’islam radical. L’effondrement des Etats en Somalie et au Soudan du sud, au Mali, en Centrafrique ou en Libye. La recrudescence de la corruption, dont l’Afrique du Sud offre une triste illustration avec la condamnation de Jacob Zuma par la Cour suprême pour violation de la Constitution à l’occasion des 20 millions d’euros de travaux réalisés dans sa résidence de Nkandla. Enfin la dérive des élections, qui sont soit manipulées pour reconduire à vie les autocrates (Denis Sassou Nguesso, président du Congo depuis 1979, hormis cinq ans à l’écart du pouvoir, Yoweri Museveni en Ouganda depuis 1986, Robert Mugabe au Zimbabwe depuis 1987, Idriss Déby au Tchad depuis 1990, José Eduardo dos Santos en Angola depuis trente-sept ans, Paul Biya au Cameroun depuis trente-quatre ans, Paul Kagame au Rwanda depuis vingt-deux ans…), soit offertes aux populistes, à l’image de la victoire au Bénin de Patrice Talon, enfant illégitime de Donald Trump et de Silvio Berlusconi.
Le paradoxe veut que les autocrates, en Afrique comme ailleurs, adorent les élections dès lors qu’elles sont organisées pour assurer leur triomphe. La pression du terrorisme islamique et du chaos qui l’accompagne menace ainsi d’enfermer l’Afrique dans un dilemme tragique : soit le pouvoir absolu au prix du renoncement à l’Etat de droit pour garantir la stabilité ; soit la liberté du suffrage universel au prix de la corruption et de la démagogie. L’Afrique ne doit pas se laisser enfermer dans le choix pervers entre l’autocratie ou le désordre. Elle ne peut se laisser voler par les autocrates et les fanatiques le moment historique de son décollage. Mais il lui faut pour cela développer une culture de la stabilité à long terme qui conjure le risque du pouvoir personnel et de la corruption.
Stabilité économique avec la modernisation de l’agriculture, la diversification de la production, l’investissement dans les infrastructures, le démantèlement des rentes bureaucratiques. Stabilité financière avec la discipline des dépenses publiques ainsi qu’une surveillance renforcée de la dette qui, à 44 % du PIB, a progressé de dix points de PIB en cinq ans. Stabilité juridique avec la protection des investisseurs étrangers, qui ont investi plus de 60 milliards en 2015, comme de l’épargne de la diaspora. Stabilité sociale avec l’intégration des 27 millions de jeunes qui se présentent chaque année sur le marché du travail. Stabilité politique avec le renforcement continu de l’Etat de droit, nécessaire contrepartie du suffrage universel. Stabilité stratégique surtout avec la priorité absolue qui doit aller à la lutte contre le terrorisme islamique qui cherche à s’étendre sur tout le continent, du golfe de Guinée au Kenya.
Si l’Afrique est immense et diverse, ses 54 Etats sont confrontés à une configuration unique qui peut permettre au continent d’effectuer son décollage. Mais, pour cela, il leur faut se réformer en conjurant la tentation de sacrifier les progrès de leur gouvernance à la stabilité, par ailleurs indispensable à la paix civile comme au développement.
« Lorsque tu ne sais pas où tu vas, dit un proverbe africain, regarde d’où tu viens. » L’Afrique a surmonté l’esclavage, la colonisation et la malédiction du non-développement. Pour tenir ses promesses, elle doit combattre la corruption, la démagogie et l’autocratie
(Chronique parue sur Le Point Afrique le 11 avril)