Le système éducatif français continue de se dégrader. Mais sa modernisation est possible pour éviter le désastre.
L’enquête Pisa réalisée par l’OCDE jette une lumière crue sur la faillite du système éducatif français. Faillite des connaissances avant tout : notre pays se situe au 21e rang sur 65 contre le 17e en 2003 pour la maîtrise de l’écrit, au 25e rang contre le 16e en 2003 pour les mathématiques, au 26e rang contre le 13e en 2003 pour la culture scientifique. Faillite de l’égalité des chances : les élèves défavorisés ont une année et demie de retard sur les autres ; un enfant d’immigré a une chance sur cinq de réussir contre une sur deux à Shanghaï. Faillite financière car la nation engloutit 6,3 % de la richesse nationale (hors enseignement supérieur) dans une école dont les performances s’effondrent. Faillite économique et sociale car le chômage de masse est le fruit de l’échec scolaire de masse : 1,9 million de jeunes ne savent ni lire, ni écrire, ni compter ; 22 % des adultes ne maîtrisent pas la lecture et 26 % le maniement des chiffres ; simultanément, 2,2 millions d’emplois demeurent non pourvus faute de qualifications adaptées.
Les raisons du désastre sont connues. Elles ne doivent rien au pseudo-manque de moyens : la France consacre à l’éducation 30 milliards de plus que l’Allemagne et que le Royaume-Uni et affecte 17 % du budget de l’État à la seule rémunération des enseignants. Elles renvoient à cinq causes, bien réelles celles-là. La culture du mensonge pour masquer le creusement des inégalités, qui transforme l’Éducation nationale en Gosplan où les évaluations sont systématiquement tronquées et biaisées – avec pour symbole le bac, dont les notations sont effectuées sur la base de 22 points sur 20. L’éviction du savoir, de l’effort et du mérite au profit du pédagogisme, du consumérisme scolaire et du nivellement par le bas.
La centralisation extrême de la gestion des établissements, des enseignants et des élèves. L’obsession de la quantité au détriment de la qualité associée au refus de la diversité qui se traduit par un lâche renoncement face aux élèves en difficulté comme face aux plus performants. Le conservatisme d’un monde enseignant enfermé dans les cadres intellectuels et administratifs de l’après-Seconde Guerre mondiale.
La multiplication sans fin des réformes n’a cessé de durcir ces travers. La réforme des rythmes scolaires dilapide des ressources considérables en faveur d’activités périscolaires sans aucune efficacité éducative. La Cour des comptes a démontré que le recrutement de 60 000 professeurs était inutile alors que les difficultés proviennent de leur mauvaise utilisation. Les investissements dans l’enseignement professionnel et les aides à l’apprentissage sont sabrés. Les coupes sauvages effectuées dans la rémunération des professeurs des classes préparatoires, dans le droit fil de la déstabilisation des grandes écoles par la loi sur les universités, fragilisent l’un des pôles d’excellence de la France en matière d’enseignement supérieur qui lui permet de résister dans la compétition mondiale.
L’Allemagne, mais aussi l’Italie, la Pologne ou le Portugal, ont pris conscience, grâce aux enquêtes Pisa, de leur retard éducatif. Ces pays ont engagé avec succès la modernisation de leur enseignement autour de principes clairs. La reconstruction de l’école de la République relève de la grande cause nationale. Elle passe par la réunion d’états généraux pour débattre des principes suivants : le rétablissement de la vérité sur les performances des établissements, des professeurs et des élèves ; la priorité au primaire et à l’apprentissage des savoirs fondamentaux, ce qui demande une augmentation du temps scolaire, la révision des programmes encyclopédiques, une aide individualisée aux enfants en difficulté ; la rupture avec la tyrannie du quantitatif au profit de la qualité, notamment via des enseignants moins nombreux, mieux rémunérés, formés tout au long de leur carrière ; la réhabilitation du savoir et du mérite ; la reconnaissance de la diversité des talents et des parcours avec la lutte contre les discriminations, l’enseignement à la carte, le renforcement des établissements d’excellence qui est cohérent et non pas contradictoire avec la relance de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage ; l’autonomie des établissements ; la mobilisation pour maintenir sur le territoire national et orienter vers l’enseignement une partie de talents et des hauts potentiels.
La France est en passe de devenir une nation d’ignorants. On ne peut pas enseigner sans respect de la connaissance, de la transmission et de l’effort.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 décembre 2013)