Crises et conflits militaires se multiplient. Une période critique durant laquelle la France songe à amputer le budget de la défense.
Alors que se dessine une sortie de la crise économique, les risques géopolitiques reviennent en force. En Asie-Pacifique, la rivalité entre Pékin et Washington pour le leadership se traduit par la hausse des incidents en mer de Chine entre l’empire du Milieu, le Japon ou le Vietnam. Un arc de crise s’est formé du Nigeria au Pakistan. Les révolutions du monde arabo-musulman sombrent dans la violence. Surtout, l’annexion de la Crimée et la déstabilisation de l’Ukraine par la nouvelle Russie impériale bouleversent le cadre de sécurité de l’Europe. Vladimir Poutine a violé tous les traités européens signés depuis Helsinki en 1975 tout en mettant fin à l’ordre stratégique et nucléaire établi depuis la chute du mur de Berlin. L’Europe se découvre désarmée face au renouveau de la Russie qui a porté son budget de défense à 90 milliards de dollars, en hausse de 180 % depuis l’arrivée au pouvoir de Poutine. Rien n’illustre mieux le tragique de la situation que les célébrations du 8 mai 2014, qui ont vu Poutine défiler à Moscou puis à Sébastopol tout en ordonnant le test de sa panoplie stratégique (tirs de missiles terrestres et sous-marins, de missiles de croisière et de missiles antimissiles), tandis que François Hollande et Angela Merkel effectuaient une croisière en Bateau-mouche à Stralsund.
À un moment où crises et conflits militaires majeurs sont de retour, contrairement aux scénarios iréniques de la version originelle du livre blanc de 2012, les forces françaises n’ont jamais été engagées sur autant de terrains divers et risqués depuis la fin des guerres coloniales. Le retrait d’Afghanistan et du Kosovo est plus que compensé par les opérations conduites sur quatre nouveaux théâtres qui s’ajoutent au Liban-Sud (600 hommes). L’intervention au Mali et dans le Sahel pour combattre les groupes terroristes (3 000 hommes, 6 Rafale et d’importants moyens de renseignement répartis de la Côte d’Ivoire au Tchad). Le dispositif « Sangaris » en Centrafrique qui tente d’endiguer la guerre civile et les risques de génocide (2 000 hommes). La réassurance de la Pologne et des États baltes face à la pression russe (4 Rafale, des bâtiments en mer Baltique). Enfin, le soutien au Nigeria dans la lutte contre Boko Aram avec l’envoi de forces spéciales et de moyens de recherche.
Or, la France songe à amputer le budget de la défense entre 2015 et 2017 de 6 milliards d’euros. Il atteindrait environ 27,5 milliards fin 2017, contre 31,4 milliards prévus par la loi de programmation militaire (LPM), soit un recul de 12,5 %. Cette saignée, s’ajoutant à la suppression de 80 000 postes entre 2009 et 2019, porterait le coup de grâce à la LPM à peine votée ; elle acterait le déclassement stratégique de la France.
Au plan stratégique, cette rupture ne permet plus d’assurer les trois fonctions de dissuasion – obligeant à renoncer soit à la simulation soit à la deuxième composante nucléaire – , de protection du territoire et de la population, de projection et d’intervention (il ne reste déjà que 15 000 hommes et 45 avions aptes au combat de haute intensité). Au plan militaire, compte tenu des économies de 4,5 milliards d’euros associées à la suppression de 34 000 postes entre 2014 et 2019, la réduction de l’activité des forces est inéluctable alors qu’elle se situe déjà 15 % en dessous des normes de l’Otan, de même que la mise sous cocon du porte-avions Charles de Gaulle. Au plan opérationnel, il serait impossible de poursuivre des interventions extérieures dont le coût dépasse 1,2 milliard d’euros par an dont 450 millions seulement sont budgétés. Au plan des équipements, les nouveaux programmes devront être abandonnés, certains décisifs pour protéger nos soldats comme le blindé léger Scorpion, certains vitaux pour combler le retard en matière de transport et de renseignement (MRTT, A 400M, drones Male, satellites d’écoute) ou de cyber-défense. Au plan industriel, la réduction drastique des commandes implique des milliers de suppressions d’emplois sur les 165 000 postes de travail que comptent les 4 000 entreprises de la filière défense et, à terme, des délocalisations de centres de décision et d’activités, notamment vers l’Allemagne dont le budget de la défense dépasse 33 milliards d’euros.
François Hollande prend l’exact contre-pied du principe de la bonne gestion publique qui consiste à basculer des dépenses improductives vers les usages productifs. Il sanctuarise les transferts sociaux (33 % du PIB) pour faire porter 12 % des 50 milliards d’économies à la défense qui constitue le seul secteur de l’État à s’être réformé en profondeur, qui représente 80 % de ses dépenses d’investissement et un soutien majeur à la recherche. Ce désarmement, en plein renouveau des menaces sur la sécurité de la France et de l’Europe, se réduit à un pacte d’irresponsabilité. Celui conclu par un homme qui, faute de parvenir à être un chef, fait le choix de dissoudre les armées.
(Chronique parue dans Le Figaro du 19 mai 2014)