L’économie mondiale et les nations peuvent relever les défis de la démographie ou de l’urbanisation en faisant le pari de l’investissement.
L’économie mondialisée a résisté au choc déflationniste de 2008 et voit se réduire la divergence entre pays développés et émergents. La croissance se stabilise autour de 3,5 % par an tandis que le commerce international progresse de 4,1 %. Cette reprise reste cependant insuffisante pour effacer les séquelles de la crise et répondre aux défis du XXIe siècle.
La mobilisation de tous les leviers de la politique économique, notamment l’émission massive de liquidités par les banques centrales ainsi que le lancement d’un plan de relance keynésien planétaire, a évité une grande déflation comparable à celle des années 1930. La crise et ses antidotes laissent cependant en héritage un niveau sans précédent de dettes publiques (110 % du PIB des pays développés) et privées (220 % du PIB en Chine), un chômage structurel qui touche 202 millions de personnes, enfin un taux d’inflation et des taux d’intérêt artificiellement bas.
Les cicatrices du choc ne sont pas encore refermées que pointent des défis fondamentaux : le vieillissement démographique et la diminution des actifs ; l’intégration des jeunes générations sur le marché du travail et dans la société ; l’urbanisation qui se concentre autour de métropoles qui accueilleront 60 % des 9,5 milliards d’hommes en 2050 ; l’accélération des intégrations régionales ; la révolution numérique avec l’entrée dans l’âge des données ; la protection de l’environnement et le changement climatique.
Le désendettement et le retour au plein emploi passent par la croissance. La croissance passe par les gains de productivité. Les gains de productivité passent par l’investissement. Les gagnants au nord comme au sud, à l’image des États-Unis ou de la Chine, sont les nations où l’investissement reste le plus élevé. Sa faiblesse constitue à l’inverse l’une des premières explications de la mollesse de la reprise en Europe comme du blocage du développement de l’Inde ou du Brésil. La pénurie d’infrastructures représente de même une menace pour le décollage de l’Afrique, dont la croissance annuelle serait portée de 5,5 à plus de 7 % si le taux d’investissement était relevé de 18 à 25 % du PIB.
En dépit de son caractère stratégique et malgré l’effondrement des taux d’intérêt, l’investissement souffre d’un important déficit, affichant un recul de 20 % par rapport à son niveau d’avant crise. L’investissement public a diminué de 3 700 à 2 700 milliards de dollars par an, victime des programmes d’ajustement budgétaire. Dans le même temps, les 2 000 plus grandes entreprises mondiales réduisent leurs investissements de 0,5 % cette année, alors même qu’elles disposent de quelque 4 500 milliards de liquidités. Trois raisons contribuent à expliquer leur prudence: la dérive des coûts des grands projets pour des retours incertains, notamment dans l’énergie (la seule exploration pétrolière atteint 1 % du PIB mondial), les mines ou la pharmacie ; la multiplication des incertitudes réglementaires et fiscales de la part d’États aux abois ; le retour des bulles spéculatives sur les marchés financiers qui incitent à privilégier les opérations de croissance externe.
L’investissement n’est pas l’ennemi mais le meilleur allié de l’emploi, du niveau de vie et de la solidarité car il conditionne un développement soutenable. Il est aussi décisif pour la sécurité et la souveraineté des nations, dont la résilience aux chocs dépend de la qualité et de la fiabilité des infrastructures. Sa relance à tous niveaux – continents, nations, entreprises, individus – est donc prioritaire. Et ce à partir de six principes.
En premier lieu, l’investissement doit répondre à une conception large, qui englobe tous les facteurs de production, y compris le capital humain et le progrès scientifique. En deuxième lieu, l’innovation de rupture ne doit pas être sacrifiée à l’innovation de procédé, ce qui invite à porter une particulière attention aux talents et aux cerveaux, à la recherche fondamentale et aux start-up. En troisième lieu, l’investissement, y compris public, doit rester soumis à des contraintes de rentabilité afin d’éviter la reconstitution de bulles spéculatives comparables à celles des infrastructures en Espagne ou des énergies renouvelables. En quatrième lieu, il n’existe pas d’alternative à la baisse des dépenses publiques dans le monde développé mais elle doit être couplée à la réorientation vers les usages productifs des charges improductives – telle l’expansion démesurée de la fonction publique ou des aides sociales créant des trappes à chômage et à pauvreté. En cinquième lieu, le financement privé est d’autant plus décisif que le désendettement pèse sur les budgets publics, ce qui impose de rompre avec une répression financière aveugle en privilégiant l’épargne longue des ménages et en l’orientant vers les entreprises, en cessant de déstabiliser les banques et en renonçant aux projets de taxation des transactions financières, enfin en développant les fonds spécialisés dans les infrastructures. En sixième lieu, plutôt que d’euthanasier l’investissement pour des préoccupations démagogiques, les États doivent redevenir des réducteurs d’incertitudes en stabilisant l’environnement réglementaire et fiscal et en répondant au renouveau des menaces stratégiques.
L’économie mondiale n’est nullement condamnée à une longue stagnation au cours du XXIe siècle tant les sources de la croissance paraissent solides et diverses: émergence de la nouvelle classe moyenne du Sud ; montée de l’économie numérique ; développement durable. Mais pour devenir effective, cette croissance potentielle demande un formidable effort d’investissement indissociable d’une révolution culturelle réhabilitant le sens du risque, le goût de l’innovation, le respect du savoir et de la science.
(Chronique parue dans Le Figaro du 14 juillet 2014)