La compagnie aérienne est malade. L’État français a sa part de responsabilité.
Pour la compagnie dont le retour à l’équilibre, après une décennie de pertes, 1,3 milliard d’euros 8 000 emplois, est durablement compromis. Le coût du conflit qui dépasse 300 millions d’euros ramènera en 2014 les comptes dans le rouge à hauteur de 150 à 200 millions d’euros. Pour la filière aérienne et touristique française, qui subit un manque à gagner équivalent. Pour la France dont l’économie, en croissance zéro, enregistre un nouveau coup dur et dont l’image se trouve encore dégradée.
Le retrait du projet Transavia Europe, qui faisait l’objet de discussions depuis l’automne 2013, le gel de Transavia France, la déstabilisation du conseil d’administration et des dirigeants d’Air France-KLM marquent pour les pilotes une victoire à la Pyrrhus. L’extension de leur statut et de leur contrat est confirmée. Leur toute-puissance qui leur assure plus qu’un droit de cogestion de l’entreprise est à son zénith. Mais ils ont tué toute possibilité de développement pour Air France-KLM, condamnée à une lente attrition.
Si le rachat de KLM a été un succès, Air France a payé au prix fort deux erreurs stratégiques majeures. La première fut de sous-estimer la montée des compagnies low-costs en prétendant répondre à leur développement par des bases régionales ruineuses. Résultat : Ryanair a transporté 83,4 millions de passager dans les 12 derniers mois contre 77,2 millions pour Air France-KLM et aligne en Europe 300 avions contre 44 pour Transavia. La seconde consista à ignorer le basculement du trafic vers l’est et l’Asie, l’essor des compagnies émergentes dans le long-courrier et la création de hubs très performants. Résultat : Emirates a affiché un résultat net de 1,280 milliard d’euros en 2013 contre 130 millions pour Air France-KLM et le trafic de l’aéroport de Dubaï a dépassé celui de Paris-Charles-de-Gaulle.
Les pilotes grévistes d’Air France travaillent pour Ryanair et Emirates. En deux semaines de conflit, ils ont ruiné trois ans d’efforts des 90 000 salariés d’Air France-KLM pour rétablir l’équilibre d’exploitation de la compagnie. Près de 1 million de passagers ont été perdus, très difficiles à reconquérir dans une conjoncture particulièrement déprimée et face à une concurrence déchaînée, dont témoigne l’accord passé par Ryanair avec la centrale de réservation Amadeus qui la connecte à 92 000 voyagistes. Surtout, les trois ailes qui devaient soutenir le redécollage d’Air France sont brisées.
La première est celle du low-cost dont le trafic en Europe a augmenté de 12,5 % depuis 2007, quand Air France génère 650 millions de pertes sur ce marché. Il est impossible de développer Transavia aux conditions de coût des pilotes d’Air France – dont les rémunérations sont 28 % plus élevées pour un temps de vol inférieur de 20 à 35 % – et en renouvelant toute la flotte des Boeing 787 en A 320. Il est impossible pour une entreprise en pertes dont la dette s’élève encore à 5,4 milliards d’euros d’acquérir une compagnie low-cost – telle Wizzair – , dont la valeur est comprise entre 1 et 2 milliards d’euros.
La deuxième source potentielle de croissance réside dans la montée en gamme des produits et des services dans le long-courrier. Mais Air France, compte tenu de ses contraintes financières, est en retard sur ses concurrents dans le déploiement de ses nouvelles cabines et offre un service moins bon à un prix plus élevé que les compagnies du Golfe ou d’Asie. Le troisième pôle d’excellence est celui de la maintenance où Air France occupe la seconde place mondiale. Mais les performances de cet appareil industriel seront difficiles à préserver au sein d’une compagnie dont l’activité et la flotte se contractent.
L’étranglement programmé d’Air France-KLM symbolise la grande stagnation de l’économie française, enfermée dans la croissance zéro, le chômage de masse, la paupérisation des masses et le surendettement de l’État. Le corporatisme aveugle de 3 800 pilotes, qui bloque la création de 1 000 emplois sur le territoire français et l’acquisition de 56 avions d’ici à 2017 tout en mettant en risque 90 000 emplois, est exemplaire des rentes et des privilèges qui sont au principe du décrochage économique de notre pays. Les efforts de professionnalisation de l’État actionnaire sont ruinés par les interventions politiques qui ont vu, une nouvelle fois, un ministre intervenir dans la gestion d’une entreprise privée et cotée – dont l’État ne détient que 16 % du capital – en violation du droit des sociétés et du droit boursier. La crise d’Air France est symbolique de l’incapacité de l’État à conduire des réformes, à modifier son modèle économique et social, à soutenir la modernisation des entreprises qui pourraient créer des activités et des emplois sur le territoire national.
(Chronique parue dans Le Figaro du 29 septembre 2014)