Le siècle chinois s’est levé, et le président Xi Jinping mène des politiques ambitieuses et réalistes.
Sous la direction de Xi Jinping, qui est le premier dirigeant à concentrer autant de pouvoirs depuis Deng Xiaoping, la Chine accumule les succès. Elle est devenue en 2014 la première économie du monde en termes de parité de pouvoir d’achat, ce qui lui permet de tenir la dragée haute aux groupes mondialisés. Elle génère une croissance de 7,5 %, même si c’est au prix d’une relance du crédit bancaire et de l’envolée des risques liée au shadow banking (finance parallèle). Alibaba triomphe à Wall Street en levant 25 milliards de dollars. Après la condamnation de Bo Xilaï, qui a réduit à néant la tentation néomaoïste, l’éviction de Zhou Yongkang, l’ancien responsable de la sécurité intérieure, laisse le champ libre à la nouvelle direction pour lutter contre la corruption. Au plan international, la Chine réalise une spectaculaire percée en Asie-Pacifique mettant à profit un double vide. Le trou d’air de la politique étrangère des États-Unis, avec le double déficit de leadership de Barack Obama et de soutenabilité des alliances qui provoque une brutale perte de confiance des Asiatiques envers la garantie de sécurité américaine. L’isolement du Japon, enfermé dans son déclin démographique, dans la déflation, dans sa dépendance vis-à-vis de la Chine où opèrent 23 000 de ses entreprises, dans la résurgence des conflits historiques et mémoriels.
Le XXIe siècle semble devoir être le siècle de la Chine. À la condition toutefois qu’elle surmonte ses difficultés intérieures : la conversion du modèle économique fondé sur le faible coût du travail et l’exportation, l’arrêt de la dégradation de son environnement, la préservation de son unité et l’intégration des minorités musulmanes.
Le plus grand défi réside cependant dans la poursuite de la stratégie associant préservation du monopole du pouvoir par le parti communiste, réforme économique et politique mondiale de puissance. Or c’est cet équilibre qui se trouve menacé par la révolte des parapluies de Hong Kong. Un quart de siècle après Tienanmen, elle confronte de nouveau Pékin à la jeunesse chinoise. À une jeunesse différente de celle de 1989, fortement éduquée, connectée, en prise directe sur le monde extérieur
Depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, le principe officiel « Un pays, deux systèmes » avait déjà été écorné en 2003 avec la loi de sécurité nationale, puis en 2010 avec la réforme du Parlement. Jamais cependant ne s’étaient déroulées des manifestations géantes comme celles déclenchées par la décision de Pékin de sélectionner les candidats pour l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif en 2017.
Les autorités de Hongkong et de Pékin ont été totalement prises au dépourvu par le mouvement Occupy Central with Love and Peace, dont la figure emblématique, Joshua Wong, est âgée de 17 ans, dont le vecteur est une nouvelle génération à la fois idéaliste, très bien organisée et rompue à l’utilisation des nouvelles technologies, dont la stratégie est pragmatique, non violente, respectueuse des biens privés et publics. D’où un triple risque pour Xi Jinping : la contagion à la Chine avec le risque d’une déstabilisation de l’actuelle direction par les opposants aux réformes et les victimes de la lutte contre la corruption ; la défiance accrue de Taïwan et de sa population envers une future réunification autour d’un principe « une nation, trois systèmes » qui serait d’emblée discrédité ; la cristallisation des peurs que suscite la Chine en Asie et dans le monde autour d’un mouvement de soutien aux manifestants de Hong Kong.
La stratégie adoptée par Xi Jinping prend en compte une double contrainte : ne pas aller trop au-delà des marges de liberté existant en Chine pour les élections locales ; éviter un nouveau Tienanmen qui couperait le pouvoir de la jeunesse chinoise, de Taïwan et de l’opinion mondiale. D’où le choix d’une riposte graduée autour de quatre axes : une offre de négociation à court terme avec le relais de Pékin à Hong Kong, Leung Chun-ying ; le pari sur l’épuisement progressif du mouvement, sur fond d’exaspération des milieux d’affaires et des commerçants ; le coup de frein à la hausse de l’immobilier, grâce au relèvement de la taxe de 15 % sur les achats des non-résidents, afin de faciliter l’accès à la propriété de la population locale ; enfin, à terme, l’éviction de Leung, sur le modèle de son prédécesseur, Tung Chee-hwa, limogé en 2005 pour sa calamiteuse gestion de la crise du Sras en 2003.
La révolte des parapluies confronte la Chine aux trois problèmes clés pour la poursuite de son essor au XXIe siècle. Comment intégrer une jeunesse éduquée, qui n’a pas connu la Révolution culturelle et ne se contente plus de l’augmentation de son niveau de vie contre la sanctuarisation de la dictature ? Comment acclimater des éléments de démocratie et d’État de droit indispensables à la poursuite du développement ? Comment désarmer les peurs contre une Chine dont la puissance est reconnue et crainte, mais dont le modèle politique et économique, loin de faire rêver, tient lieu de repoussoir ?
(Chronique parue dans Le Figaro du 06 octobre 2014)