La crise mondiale du capitalisme continue. Les turbulences des marchés marquent l’avènement d’une nouvelle ère.
Après une période d’euphorie depuis 2009, les marchés sont entrés dans une nouvelle zone de turbulences. Toutes les catégories d’actifs sont touchées : correction sur les actions en recul de plus de 12 % depuis le début d’octobre ; tensions sur le marché obligataire se portant en priorité sur la périphérie de la zone euro, notamment la Grèce mais aussi l’Italie, l’Espagne et le Portugal ; appréciation rapide du dollar sur le marché des changes soutenue par la reprise américaine ; chute du cours du pétrole à 82 dollars pour le baril de brent.
En bref, la volatilité, longtemps écrasée par l’activisme des banques centrales, effectue un retour en force.
D’un côté, la normalisation des politiques monétaires très expansionnistes qui ont été mises en place pour endiguer le risque de déflation mondiale après la faillite de Lehman Brothers est indispensable. La généralisation des taux zéro et des stratégies d’assouplissement quantitatif ont gonflé les liquidités de plus de 12 % par an et démesurément dilaté le bilan des banques centrales – à l’exception de la BCE – , ouvrant la porte à la reconstitution des bulles spéculatives et à la perte de confiance dans la monnaie.
De l’autre, la remontée des risques a été sous-estimée. Risques économiques liés au ralentissement de l’activité mondiale, avec le freinage de la Chine et la menace de déflation de la zone euro (croissance limitée à 0,8 % et inflation réduite à 0,3 %). Risques financiers avec la réapparition des bulles sur les actions (le S & P 500 s’est envolé de 170 % et le FTSE monde de 130 % depuis mars 2009) ou sur certains marchés immobiliers (hausse de 9,7 % par an à Londres depuis 2008).
Risques systémiques sur la zone euro enfermée dans la stagnation, le chômage de masse et le surendettement tout en étant privée de stratégie par l’implosion du couple franco-allemand. Risques géopolitiques : poussée de la Chine en Asie ; renouveau impérial de la Russie, partition de fait de l’Ukraine et la menace sur l’approvisionnement en énergie de l’Europe (25,8 % de la consommation de pétrole et 27,8 % de celle de gaz proviennent de Russie) ; chaos qui s’installe au Proche-Orient avec l’effondrement des États ; constitution d’un arc terroriste qui s’étend du Nigeria à l’Afghanistan.
L’actuelle secousse des marchés dissipe l’illusion selon laquelle la crise mondiale du capitalisme comme celle des risques souverains et de l’euro seraient derrière nous. Une grande déflation comparable à celle des années 1930 a été évitée in extremis. Mais les séquelles des chocs pèsent lourdement : le réamorçage de l’économie de bulle par la politique monétaire pour endiguer la déflation ; le surendettement des États qui alimente une instabilité réglementaire et fiscale ; la déstabilisation des classes moyennes qui nourrit le populisme et l’extrémisme tout en affaiblissant la gouvernabilité des démocraties. Par ailleurs, des doutes se font jour sur la croissance en raison du vieillissement et du tarissement des gains de productivité, même si l’avènement des nouvelles classes moyennes du Sud, la révolution technologique et l’économie de l’environnement constituent de puissants antidotes.
Nous ne sommes pas en 2007, mais pointe une nouvelle divergence entre économie réelle et financière qui se cristallise autour de l’investissement. L’inflation des actifs et des dividendes (les entreprises du S & P 500 distribuent 95 % de leurs profits en dividendes et rachats d’actions), l’accumulation de 2 000 milliards de dollars de bénéfices offshore par les firmes mondialisées américaines contrastent avec la diminution des investissements de 0,5 % par an. En Europe, le recul atteint plus de 200 milliards d’euros par rapport à 2007.
En 2014, les pays développés ne peuvent rééditer l’erreur d’agir trop peu et trop tard. Le partage de la valeur ajoutée doit donner la priorité à l’investissement productif. L’environnement réglementaire et fiscal doit être stabilisé.
La sortie progressive des politiques d’assouplissement quantitatif s’impose aux États-Unis, le krach de 2008 ayant rappelé l’ampleur des catastrophes provoquées par l’argent facile. Les réformes pour améliorer l’efficacité du travail, du capital et de l’innovation méritent d’être accélérées. Au sein des nations comme de l’Europe ou du G20, il est impératif de renforcer la coordination des instruments et des stratégies de politique économique, tout particulièrement au sein de la zone euro où l’ajustement des uns doit avoir pour contrepartie la relance des autres.
Les turbulences actuelles des marchés ne sont pas un simple trou d’air. Elles marquent l’avènement d’un nouvel environnement monétaire et financier, placé sous le signe d’une cotation plus réaliste des risques. Voilà une nouvelle raison pour hâter les réformes en France, cible désignée d’un prochain choc sur les dettes publiques qui porterait le coup de grâce à l’euro.
(Chronique parue dans Le Figaro du 20 octobre 2014)