Si le pouvoir de résilience sur l’économie états-unienne, l’État fédéral est lui malade et sclérosé.
À la veille des élections de mi-mandat de la seconde présidence de Barack Obama, les États-Unis présentent un double visage. D’un côté, ils ont réussi à surmonter la terrible crise ouverte en 2007. De l’autre, la démocratie américaine est minée par la paralysie du système politique et la défiance des citoyens, tandis que la politique extérieure connaît un trou d’air sans précédent depuis la présidence de Jimmy Carter à la fin des années 1970.
Les États-Unis, dont la responsabilité fut écrasante dans l’émergence puis l’implosion de l’économie de bulle des années 2000, sont parvenus à enrayer le risque de déflation et à créer les conditions d’une reprise solide. La croissance atteint 3,5 % en rythme annualisé ; le taux de chômage a été ramené à 5,9 % de la population active grâce à la création de 10 millions d’emplois depuis 2009 ; l’inflation est limitée à 1,7 % ; le déficit public a été réduit de 10 % à 2,9 % du PIB depuis 2001. Si des inégalités subsistent, l’économie américaine s’est redressée tout en abandonnant le modèle de la croissance à crédit pour renouer avec la production.
Le mérite de cette sortie de crise revient d’abord à la politique monétaire. Contrairement à la grande dépression de 1929 qui vit la hausse des taux transformer le krach boursier en dépression, contrairement au Japon qui s’est enfermé dans la déflation depuis 1990, la politique monétaire des États-Unis depuis 2008 reste un cas d’école de parfaite réaction à l’éclatement de bulles spéculatives. La Fed a agi très vite et très fort, en baissant les taux jusqu’à zéro, en laissant filer le dollar, en réassurant les banques, en inondant le marché de liquidités.
L’atterrissage en douceur de la politique d’achats d’actifs, couplée à la remontée du dollar, constitue le point d’orgue de ce moment décisif qui vit l’économie mondiale suspendue à l’action des banques centrales, et d’abord de la Fed. Il s’est effectué dans le calme, sans déstabiliser les marchés, grâce à une préparation méthodique qui s’est étendue sur plus de neuf mois. Avec pour prochaine étape le relèvement progressif des taux d’intérêt.
L’afflux des liquidités a été le carburant de la reprise, mais le moteur qui lui donne sa pérennité fut la reconstruction du système productif. Les États-Unis sont redevenus la nation la plus compétitive du monde. L’activité est portée par la réindustrialisation et les relocalisations. Le pays a reconquis en quelques années tant son indépendance énergétique que son leadership technologique à travers l’oligopole de l’Internet.
Tout autre est la situation politique intérieure et extérieure. Barack Obama est le symbole de la déliquescence du système politique et du désenchantement des Américains vis-à-vis de leurs dirigeants. Le président est ligoté par le Congrès, impuissant à mettre en œuvre les réformes indispensables concernant la fiscalité, la protection de l’environnement, le contrôle des armes à feu ou l’immigration, dépassé par la multiplication des crises internationales – de l’irruption d’EIIL au virus d’Ebola en passant par les ambitions impériales de la Chine ou de la Russie.
La démocratie américaine est profondément malade, prise sous le feu croisé de la perte de légitimité d’un président aussi exceptionnel dans l’art oratoire qu’indécis et faible devant les contraintes de l’action, de la paralysie des institutions qui a vocation à s’accroître avec le basculement prévisible du Sénat dans le camp républicain, de la radicalisation du débat provoquée par la poussée du Tea Party, du mépris croissant des Américains pour leur classe politique. Sous couvert de basculement vers le Pacifique, les incertitudes croissantes sur la capacité de leadership et la stratégie des États-Unis ont créé un vide dans lequel s’engouffrent la Chine qui accélère son expansion en Asie, la Nouvelle Russie de Vladimir Poutine qui poursuit la reconstitution de l’empire intérieur soviétique ou la vaste coalition des groupes terroristes, de Boko Aram aux talibans en passant par EEIL.
Les États-Unis sont ainsi écartelés entre d’une part le secteur privé qui se réforme et, d’autre part, un système politique immobile et impotent. Ils conservent d’immenses atouts, dont l’attraction des talents et la culture du risque et de l’innovation. Ils n’ont pas renoncé au leadership dans le XXIe siècle. Mais ils doivent impérativement réinventer leur système politique après leur modèle économique. D’abord parce qu’il n’est pas d’économie durablement performante et de projection de puissance sans la réassurance d’un État efficace. Ensuite parce que la Chine, elle, avance sur ses deux pieds : un pouvoir politique qui joue un rôle moteur dans les réformes et excelle à conduire des stratégies de long terme ; une économie dynamique et une société de plus en plus innovante.
(Chronique parue dans Le Point du 03 novembre 2014)