La chute des prix du pétrole ouvrent la voie à des opportunités et à des risques, pour les États et les entreprises.
La chute des prix du pétrole de 32 % en cinq mois constitue un bouleversement économique et stratégique. Et ce d’autant que nul n’avait prévu ou anticipé la baisse du prix du baril de brent en dessous de 80 dollars alors qu’il fluctuait entre 100 et 120 dollars depuis 2010. Elle s’explique avant tout par un choc d’offre, au croisement d’une double révolution technologique et géopolitique.
Le marché de l’énergie a longtemps été surplombé par les théories malthusiennes du pic pétrolier. Elles ont été démenties par l’innovation radicale des hydrocarbures non conventionnels qui va permettre aux États-Unis de redevenir le premier producteur mondial avant la fin de la décennie et qui fonde leur réindustrialisation.
Les États-Unis produisent désormais 9 millions de barils par jour qui couvrent 60 % de leurs besoins (16 millions de barils par jour) contre 40 % en 2010. Ils deviendront exportateurs nets avant 2020. La montée en puissance de la production américaine a pour l’heure pris le pas sur les facteurs de risques liés au réchauffement climatique et à l’objectif de limiter à 2 degrés l’augmentation des températures d’ici à 2100, à la catastrophe de Fukushima qui a provoqué une forte hausse des prix du gaz en Asie, enfin aux tensions stratégiques nées de la désintégration des États du Moyen-Orient et de la seconde guerre froide déclenchée par la Russie. En dépit du chaos, la production de l’Irak et de la Libye reste en effet dynamique, tandis que les sanctions internationales n’affectent pas les exploitations russes en activité (10 millions de barils par jour).
Ce choc d’offre est amplifié par le ralentissement de la croissance mondiale, qui menace de s’étendre de l’investissement à la consommation. Le freinage est très net chez les émergents, notamment du fait de la réorientation du modèle chinois vers la consommation intérieure. Elle explique en grande partie la décélération du commerce international, dont la progression est revenue de 6 % par an entre 1990 et 2008 à 2,2 % par an aujourd’hui.
La baisse du prix du pétrole comporte également des déterminants géopolitiques. Elle affaiblit nombre des États en rupture de ban avec la communauté internationale, tels la Russie, l’Iran ou le Venezuela. Elle sert par ailleurs les intérêts saoudiens dans la configuration inédite du Moyen-Orient qui voit la monarchie wahhabite former un axe avec l’Égypte et Israël face à l’arc chiite composé de l’Iran, de l’Irak, de la Syrie, du Hamas et du Hezbollah. D’où la décision de l’Arabie saoudite de ne pas baisser sa production et de maintenir le plafond de production de l’Opep à 30 millions de barils par jour.
Pour toutes ces raisons, le prix du pétrole devrait, sauf aggravation de la situation internationale, fluctuer durablement autour de 80 dollars le baril. Pour l’économie mondiale, le contre-choc pétrolier est positif et augmentera le PIB de la planète de 0,2 % tout en contribuant au maintien d’une faible inflation. Il représente surtout un transfert de richesse de 3 milliards de dollars par jour des pays producteurs vers les consommateurs. La reprise des États-Unis en sort confortée, la croissance s’installant au-dessus de 3 % par an même si les investissements et les emplois dans le secteur des hydrocarbures non conventionnels se stabilisent. L’Europe pourrait bénéficier d’un supplément d’activité de 0,2 %. L’effet sera neutre pour le Japon du fait de la chute de 25 % du yen. En revanche, les pertes de recettes financières et budgétaires seront significatives pour les grands pays exportateurs, notamment la Russie – avec une accélération de la chute du rouble et des sorties de capitaux -, l’Iran et l’Irak, le Brésil et le Venezuela, le Nigeria, l’Angola ou l’Algérie.
Pour les entreprises, la baisse du prix du pétrole crée aussi des effets asymétriques. Elle est salvatrice pour le transport routier et maritime, les compagnies aériennes, la pétrochimie ou les pneumatiques. Elle implique une accélération des restructurations dans le secteur de l’énergie.
Trois enseignements émergent de la nouvelle donne pétrolière. La multiplication des chocs et des surprises stratégiques est la marque de fabrique du XXIe siècle qui oblige les individus, les entreprises et les États à s’adapter en permanence. La faillite des prédictions malthusiennes ne remet pas en question l’impératif d’une gestion économe de l’énergie et des matières premières qui doit donner la priorité à l’innovation technologique sur l’organisation de la pénurie par la norme ou par l’impôt. Tout comme la baisse de l’euro, la chute du prix du pétrole constitue une bouffée d’oxygène pour la France et pour l’Europe qui ne doit pas être utilisée comme un nouveau sursis pour entretenir le statu quo mais comme un levier pour accélérer les réformes fondamentales qui, seules, peuvent générer croissance et emplois durables.
(Chronique parue dans Le Point du 24 novembre 2014)