Grâce à une thérapie de choc, le pays connaît un redressement spectaculaire. Un exemple à suivre.
L’Espagne émerge progressivement de la terrible crise qui a réduit son PIB de 7 %, mis 27 % de la population active au chômage et jeté 22 % de ses habitants dans la pauvreté. La violence du choc s’explique par la conjonction du krach mondial consécutif à la faillite de Lehman Brothers et par des facteurs proprement nationaux : l’éclatement de la bulle immobilière et financière des années matadores (l’immobilier au sens large représentait 18 % du PIB et plus de 20 % de l’emploi), puis un choc sur la dette souveraine en 2011 sur fond de désintégration du système bancaire et de surendettement des ménages et des entreprises.
Après être restée enfermée dans le déni sous José Luis Zapatero, l’Espagne a entrepris de se réformer à marche forcée avec Mariano Rajoy. Et cet effort paie. En 2014, la croissance atteindra 1,3 %, contre 0,4 % en France, et est estimée à 2 % pour 2015. La reprise est solide, car adossée aux exportations, qui bénéficient d’une compétitivité retrouvée, à la demande intérieure libérée par la décrue du chômage (les demandeurs d’emploi ont diminué de 192 500 entre juin et septembre 2014), à la reprise de l’investissement alimentée par l’afflux des capitaux étrangers (près de 90 milliards d’euros). Elle est durable, car ancrée dans le spectaculaire retournement de la balance courante, passée d’un déficit de 10 % en 2007 à un excédent de 2 %. Le redressement de l’Espagne est le fruit d’une stratégie qui a associé le rétablissement budgétaire et les réformes structurelles. Le programme d’ajustement des finances publiques, mis en place pour réduire le déficit et contenir l’explosion de la dette, a privilégié la baisse des dépenses. Les hausses d’impôts ont été concentrées sur l’impôt sur le revenu et la TVA, les nouveaux prélèvements sur les entreprises étant limités à l’impôt sur les sociétés. La réduction de plus de 6 % du déficit structurel a été majoritairement réalisée par la baisse des dépenses publiques de 5 % en valeur depuis 2009 (contre une augmentation de 10 % en France). Toutes les composantes de cette dépense ont été concernées : baisse de 7 % du nombre de fonctionnaires et de 5 % de la masse salariale des administrations publiques ; encadrement des dépenses et de l’endettement des collectivités territoriales ; révision de l’assurance- chômage avec une dégressivité des allocations à compter du septième mois ; rationalisation du système de santé et reconfiguration des retraites dans la continuité du pacte de Tolède de 1995 (âge légal porté jusqu’à 67 ans en 2027, durée de cotisation passée de 35 à 37 ans, base de calcul élargie des 15 aux 25 dernières années).
Parallèlement a été engagée la reconversion du modèle économique espagnol, fondé sur l’immobilier, sur des activités à faible valeur ajoutée et des emplois peu qualifiés. Et ce autour de trois axes. Le marché du travail, qui était plus rigide encore qu’en France, a été rendu flexible grâce au rapprochement des contrats à durée indéterminée et temporaires, à l’assouplissement du licenciement, à la modération salariale, avec pour résultat un bond de la productivité de 15 % depuis 2010. Le système bancaire a été restructuré et recapitalisé – au prix de 8 points de PIB de dette publique et de 41 milliards d’euros d’aides européennes. Un vaste effort d’investissement, de remontée de la chaîne de la valeur ajoutée et de promotion des exportations à travers la marque Espagne a été lancé : loi du 27 septembre 2013 de soutien aux entrepreneurs ; incitations fiscales en faveur de l’innovation et de l’économie numérique ; ouverture à la concurrence des secteurs protégés ; appui à l’internationalisation des grandes entreprises (Santander, Telefonica, Zara…).
Le rééquilibrage de l’Espagne est loin d’être achevé (taux de chômage de 23,7 % ; dette publique de 97,1 % contre 36,3 % en 2007). La reprise reste inégale et soumise à des incertitudes : la déflation, le vieillissement de la population et l’exil massif des jeunes diplômés.
Les deux principaux risques qui pèsent sur le redressement de l’Espagne sont cependant politiques. Le premier est intérieur. Les réformes sont menacées par la revendication sécessionniste de la Catalogne (15 % de la population, 19 % du PIB, 25 % des exportations) et plus encore par la radicalisation de l’opinion qu’incarne le parti Podemos, héritier du mouvement des Indignados : crédité de 25 % des intentions de vote pour les prochaines élections législatives, il pourrait rendre l’Espagne ingouvernable. Le second risque découle de la zone euro : il est à la fois économique, en cas de basculement dans la déflation, et financier, en cas de déstabilisation de la monnaie unique à la suite d’une attaque sur la dette française. Pour l’Espagne comme pour tous les pays de la zone euro, la France de François Hollande n’est plus un partenaire, mais un risque majeur.
L’Espagne, si elle résiste aux tentations populistes et séparatistes, est idéalement positionnée pour bénéficier de la baisse des taux et de l’euro lancée par la BCE comme de la chute du prix du pétrole, dont les effets positifs seront amplifiés par la diminution de l’impôt sur le revenu de 12,5 % concentrée sur le bas et le haut du barème (tranche haute ramenée de 52 à 45 %) et de l’impôt sur les sociétés, dont le taux sera ramené de 30 à 25 % en 2016 (contre 38 % en France). Tout cela rend crédibles les prévisions d’une croissance de 3 % en 2017, avec un taux de chômage sensiblement inférieur à 20 % et un excédent budgétaire primaire de 2,7 % du PIB, autorisant la réduction de la dette publique à partir du point culminant de 2015 (100,3 % du PIB). La sortie de crise serait alors acquise.
Dix ans après la renaissance de l’Allemagne grâce à l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder, le redressement de l’Espagne prouve qu’il est possible de réaliser l’ajustement des finances publiques tout en réinventant le modèle économique d’un pays développé en moins de cinq ans. Il montre que les thérapies de choc ne sont pas le monopole de l’Europe du Nord ou du monde anglo-saxon, mais qu’elles se déploient avec succès dans l’Europe du Sud. Il confirme que la priorité dans l’ajustement doit être accordée à la baisse des dépenses sur les hausses d’impôts. Il rappelle que la stratégie de modernisation relève toujours d’une voie et de choix nationaux, mais qu’elle est facilitée et accélérée par le soutien de l’Europe. Toutes leçons qui expliquent pourquoi l’Espagne relève la tête quand la France sombre.
(Chronique parue dans Le Point du 11 décembre 2014)