Les atouts de la francophonie en font un espace de développement majeur, au croisement entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique du nord.
Le XVe sommet de la Francophonie qui s’est tenu à Dakar s’est conclu par deux innovations qui donnent une nouvelle dimension au rassemblement des pays qui partagent notre langue. Michaëlle Jean, Canadienne d’origine haïtienne, a été désignée secrétaire générale de l’OIF et a défini le français comme « une arme de construction massive ». Pour la première fois, le sommet a été suivi d’un forum économique qui entendait, dans le droit fil des conclusions du rapport de Jacques Attali, promouvoir la francophonie non seulement comme un espace culturel mais aussi comme un levier de développement.
La mondialisation obéit à un mouvement dialectique : plus le capitalisme et les technologies sont universels, plus les identités et les cultures se renforcent. Dans ce contexte, la francophonie dispose d’un formidable potentiel. Elle regroupe aujourd’hui 230 millions d’hommes – contre 150 millions en 1950 – qui produisent 8,5 % du PIB mondial et réalisent quelque 11 % des échanges de biens et de services. Ils seront 770 millions en 2050, dont 85 % vivront en Afrique, continent qui comptera alors 1,8 milliard d’habitants.
Dans un monde en révolution, il nous faut changer de regard sur la francophonie et sur l’Afrique. La francophonie ne relève pas d’un folklore désuet ou de pratiques néocoloniales mais doit devenir un laboratoire pour le codéveloppement. L’Afrique est le futur grand continent émergent, à l’aube de ses « Trente Glorieuses ».
Les menaces (terrorisme, virus Ebola, soulèvement de la jeunesse) qui soulignent les fragilités persistantes du continent ne remettent pas pour autant en question sa dynamique positive. L’Afrique affiche la plus forte croissance après l’Asie et continue d’accélérer (5,8 % prévus pour 2016) ; elle dénombre 20 démocraties contre 4 dans les années 1990 ; les conflits armés ont diminué de moitié au cours de la même période.
L’Afrique peut s’affirmer comme la nouvelle frontière de la mondialisation. Sa croissance est résiliente car fondée sur la hausse de demande intérieure (400 milliards de dollars d’ici à 2020) et sur le marché plutôt que sur l’État. Elle occupe le second rang pour les ventes de télécommunications. Elle va concentrer 40 % de la croissance de la population mondiale dans les vingt prochaines années et devenir le premier réservoir de travail avec une population active de 1,1 milliard de personnes. La classe moyenne, estimée à 300 millions d’individus, va doubler. Pour l’Europe et la France en quête de relais de croissance, l’Afrique représente donc une opportunité exceptionnelle.
Mais le décollage de l’Afrique doit aussi relever des défis majeurs : l’éducation ; le comblement du retard en termes d’infrastructures, avec un programme d’équipements de 1 500 milliards d’ici à 2020 ; l’accélération de l’investissement privé qui permettrait de porter la croissance au-delà de 7 % par an ; le renforcement de l’intégration régionale, car le commerce local reste limité à 12 % des échanges contre 55 % en Asie-Pacifique et 61 % en Europe ; le respect de l’État de droit et la création d’un environnement juridique et fiscal fiable pour les investisseurs.
La francophonie dispose donc de tous les atouts pour se transformer en un espace de codéveloppement autour de six priorités :
- L’enseignement de la langue française et la formation, qui passent par un réseau de lycées, d’universités et de campus délocalisés ainsi que par la création d’enseignements francophones en ligne, s’appuyant sur la coproduction des contenus.
- La constitution d’un tissu d’entrepreneurs et de filières d’appui aux PME (qui génèrent plus de 80 % de l’emploi) à travers des fonds de soutien spécialisés et le portage par les grands groupes.
- Le développement du secteur financier via la bancarisation, le recours aux nouvelles technologies, la création de bourses et de centres de services à haute valeur ajoutée.
- L’investissement dans les infrastructures, notamment dans les domaines de l’énergie, des transports, des télécommunications et du numérique, en favorisant les partenariats public/privé et les financements innovants.
- La stabilisation et la protection de l’environnement monétaire, juridique et fiscal de la vie économique, notamment via l’unification des normes et la coordination des régulateurs.
- La négociation d’un accord de commerce entre pays francophones qui libéralise la circulation des personnes, des biens et des services.
Loin de la nostalgie impériale ou de l’économie de rente, la francophonie doit s’affirmer comme l’un des pôles structurants du XXIe siècle, au croisement de l’émergence de l’Afrique, de la réinvention du modèle nord-américain et de la renaissance de l’Europe.
(Chronique parue dans Le Point du 15 décembre 2014)