À l’heure où le Parlement déserte ses missions fondamentales, la liste des entreprises privées, françaises ou internationales, convoquées devant des commissions d’enquête parlementaires ne cesse de s’allonger. Une tendance inquiétante qui se fait au mépris des règles élémentaires.
Nicolas Baverez et Vincent Brenot sont avocats au cabinet August Debouzy.
McKinsey, TikTok, TotalEnergies, Nestlé, Uber, Société générale, Vivendi… La liste des grandes entreprises privées, françaises ou internationales, convoquées devant des commissions d’enquête parlementaires ne cesse de s’allonger. Or cela ne va nullement de soi. Les commissions d’enquête parlementaires ont certes reçu un statut constitutionnel par la révision de 2008, dans le cadre du renforcement des pouvoirs du Parlement, mais pour mieux contrôler l’action du gouvernement et évaluer les politiques publiques. Elles sont aujourd’hui dénaturées et détournées de leur objet pour intervenir dans la stratégie des entreprises privées et mettre en cause leurs dirigeants au mépris de leur intérêt social mais aussi du droit des sociétés et du droit boursier.
La première dérive touche à la multiplication des commissions d’enquête et à l’élargissement sans limite de leur champ. Par le jeu des droits de tirage, chaque groupe politique peut aujourd’hui imposer la création d’une commission, le plus souvent sur des objets militants qui n’ont plus de lien avec l’intérêt général mais qui deviennent une arme du combat et de la communication politiques. Des règles claires existent pourtant, qui ont été fixées par l’ordonnance du 17 novembre 1958. Elles précisent notamment qu’il ne peut être créé de commission d’enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires, aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Mais ces interdictions sont ouvertement violées.
Les assemblées qui sont censées voter la loi se sont ainsi transformées en zone de non-droit. L’asymétrie des droits et des responsabilités est totale entre les parlementaires et les personnes auditionnées. Les premiers, couverts par leur immunité, peuvent convoquer, interroger, dénoncer, accuser sans aucune limite. Les secondes sont tenues de comparaître et de répondre aux questions écrites et orales, sous peine de sanction pénale. Elles ne disposent d’aucune des garanties d’un procès équitable : ni assistance effective d’un avocat, ni accès aux pièces, ni contradictoire dans l’établissement du rapport, ni possibilité de répondre quand les conclusions sont rendues publiques. Pire, certaines commissions n’hésitent pas à saisir le procureur de la République au titre de l’article 40 du code pénal d’éléments d’informations qui n’ont pas été explicités ou débattus avec les personnes mises en cause.
Ordonnance de 1958
Les commissions d’enquête ont ainsi été perverties en juridictions de fait, qui s’exonèrent de tout principe, de toute règle procédurale, de tout contrôle interne ou externe, étant même placées hors du champ des déontologues des assemblées et des mécanismes de prévention des conflits d’intérêts. Et ceci au moment même où le Parlement déserte ses missions fondamentales, à savoir le vote de la loi – le foisonnement exubérant des propositions de textes inutiles accompagnant l’euthanasie des réformes indispensables -, le contrôle du gouvernement, l’animation d’un débat public éclairé et apaisé.
Il est aujourd’hui urgent que les commissions d’enquête parlementaires réintègrent l’État de droit. Cela exige que les présidences et les bureaux de l’Assemblée nationale et du Sénat se ressaisissent de leurs compétences et rétablissent une application exacte et stricte de l’ordonnance de 1958 comme de leurs règlements. Cela suppose un encadrement juridique renforcé, comportant des garanties sur l’objet réel des travaux, les droits des personnes auditionnées, le respect du contradictoire, la communication des résultats.
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Chronique parue dans Le Figaro du 14 avril 2025