Le réarmement est parfaitement compatible avec la reprise de contrôle des finances publiques. Mais à condition de construire un nouveau modèle français performant pour le XXIe siècle.
La France n’a d’autre choix que d’engager un puissant réarmement pour faire face à la menace existentielle de la Russie, au retournement des États-Unis qui s’alignent sur les empires autoritaires, font éclater l’Occident et sapent la crédibilité de l’Otan, enfin à la persistance du djihadisme. Il vise à assurer la continuité de la vie nationale et à participer à la défense de l’Europe. Il passe par le rehaussement et la modernisation de la dissuasion nucléaire, la conversion du modèle d’armée au combat de haute intensité, le renforcement de la protection du territoire national. Il impose d’augmenter a minima l’effort de défense de 2 % à 3 % du PIB d’ici 2029.
Le réarmement est télescopé de plein fouet par la stagnation de l’économie française et par la crise aiguë des finances publiques. À Paris comme à Bruxelles, le choix a été fait de privilégier le financement par la dette, à travers 150 milliards d’euros de prêts européens et la sortie pendant quatre ans des dépenses militaires à hauteur de 1,5 % du PIB de la limite de déficit fixée à 3 % du PIB. La France continue par ailleurs de plaider pour un nouvel emprunt européen.
Le recours à l’emprunt convient parfaitement à l’Allemagne, dont la dette publique est réduite à 62 % du PIB. Il est très risqué pour la France, dont la dette publique atteindra 120 % du PIB à fin 2025 et est désormais insoutenable. Les taux d’intérêt s’élèvent en effet à 3,6 % quand la croissance nominale plafonne à 2,4 %. Le service de la dette dépassera 3,5 % du PIB en 2030. Dès lors, la crise financière bloquera le réarmement. La hausse des impôts est tout aussi exclue. Le choc fiscal du budget de 2025 a montré que son seul résultat est de bloquer l’activité, paralyser les entreprises, faire fuir les capitaux et les talents qu’il faut mobiliser pour la défense.
Le réarmement de la France ne sera donc crédible qu’à deux conditions. Reposer sur un financement solide et durable, qui ne peut provenir que de la réorientation des dépenses de l’État-providence (34 % du PIB) vers la défense. Associer le réarmement militaire à la refondation du modèle économique et social.
Le choix ne se situe nullement entre réarmement et préservation du modèle social. Les pays d’Europe du Nord montrent en effet qu’il est possible de concilier compétitivité, solidarité, transition écologique et relèvement significatif de l’effort de défense vers 3 % du PIB. Surtout, la sanctuarisation du pseudo-modèle social français n’a aucun sens. Il doit en effet être jugé à ses résultats. Or force est de constater qu’il aggrave les maux qu’il a pour mission de soigner et les risques qu’il est censé prévenir en dépit des moyens sans équivalent qu’il mobilise.
Le modèle social français s’enfonce dans une triple crise d’efficacité, de soutenabilité et de légitimité. Il écrase les inégalités de revenus, ramenant le rapport entre les 10 % les plus riches et les plus pauvres de 19,6 fois à 5,5 fois. Mais, en euthanasiant la croissance et les gains de productivité, il génère un chômage structurel de masse (10 % des actifs en moyenne), paupérise la population (richesse par habitant inférieure de 15 % à l’Allemagne et de plus de 50 % aux États-Unis), enferme près de 10 millions de personnes dans la pauvreté. Dans le même temps, la qualité de l’éducation et de la santé s’effondre, tandis que le logement connaît sa pire crise depuis les années 1950. La négociation sociale est vidée de toute substance et le paritarisme fossilisé. La société se désintègre, avec des pans entiers de la population et du territoire qui basculent dans une violence sortie de tout contrôle.
L’État social a cannibalisé l’économie et l’État régalien. Il est l’une des causes premières du décrochage économique de la France, passée du 4e au 7e rang mondial depuis 2000, comme de l’effondrement de l’offre nationale et des dysfonctionnements du marché du travail. Il bloque la croissance à 0,4 % en moyenne, lamine l’industrie qui ne représente plus que 9 % de la valeur ajoutée, crée une trappe à bas salaire qui smicardise les salariés (18 % des salariés au smic en 2024 contre 10,8 % en 2014). Il accapare 34 % du PIB, contre 3,6 % pour les missions régaliennes de l’État, dont la déliquescence joue un rôle majeur dans la crise nationale. Il est responsable de la moitié des 1 000 milliards d’euros de dette publique accumulés par Emmanuel Macron depuis 2017, qui ont plongé notre pays dans une crise financière sans précédent depuis 1983.
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Chronique parue dans Le Figaro du 17 mars 2025