Comment l’évolution des États-Unis en démocratie illibérale débouche sur une instabilité et une défiance dévastatrices.
Pour avoir cédé à la démesure après l’effondrement de l’Union soviétique, les États-Unis ont connu un trou d’air au début du XXIe siècle – marqué par les attentats de 2001, le krach de 2008, les guerres perdues d’Afghanistan et d’Irak –, qui a semblé acter leur déclin et la perte de leur suprématie au profit de la Chine, portée par ses Quarante Glorieuses.
Ils ont cependant réagi à partir des années 2010 pour rétablir leur puissance grâce à leur vitalité démographique, au dynamisme de leur économie, à leur avance technologique, à leur influence diplomatique et à leur hégémonie militaire, illustrées par la démonstration effectuée à l’occasion des guerres d’Ukraine et de Gaza.
Et ce, au moment où la Chine basculait dans la stagnation, où la Russie s’enfermait dans une débâcle stratégique en Ukraine pour devenir le vassal de Pékin, où l’Iran affrontait la révolte de sa population et la désintégration de son empire chiite.
Capitalisme de prédation
La révolution conservatrice engagée par Donald Trump autour du slogan « Make America Great Again » relance en réalité le déclin des États-Unis et offre une chance inespérée aux empires autoritaires de se rétablir. Loin de l’âge d’or promis, l’Amérique retourne à l’âge de la pierre.
La maxime de lord Acton selon laquelle « le pouvoir corrompt ; le pouvoir absolu corrompt absolument » n’a rien perdu de sa pertinence. L’évolution des États-Unis en démocratie illibérale, cumulant la toute-puissance proclamée de Donald Trump, le mépris de la Constitution, le désarmement de tous les contre-pouvoirs, la décomposition de l’État de droit, débouche sur une instabilité et une défiance dévastatrices.
Le coup d’État numérique de la mafia PayPal dont Elon Musk est le héraut ressuscite le temps des « barons voleurs », propriétaires des monopoles qui menaçaient la démocratie américaine et que Theodore Roosevelt réussit non sans mal à neutraliser.
Les États-Unis réactivent ainsi un capitalisme de prédation hors de toute règle et de toute éthique, placé sous le signe de la confusion des intérêts privés et publics, depuis la manipulation du marché des cryptomonnaies sous couvert de création d’une réserve stratégique à la captation des fonds et des marchés publics par les entreprises d’Elon Musk.
Ceci va de pair avec le démantèlement de l’État fédéral et des agences de régulation par le Doge, qui a procédé en violation des pouvoirs du Congrès au licenciement de plus de 100 000 fonctionnaires fédéraux sur 2,3 millions et à des coupes de plusieurs milliards dans les dépenses publiques, y compris dans les domaines vitaux de la sécurité nucléaire ou de la santé.
Dans le même temps, Donald Trump applique, non sans de multiples revirements, son programme de mise en place d’un protectionnisme généralisé et de lutte contre l’immigration, entraînant des mesures de représailles de la Chine (hausse des droits de 15 % sur les produits agricoles américains) comme du Canada (surtaxe de 25 % sur 155 milliards d’importations américaines).
Course aux armements
En quelques semaines, Donald Trump a plongé dans le chaos les échanges et les paiements mondiaux tout en déstabilisant l’économie américaine, qui se trouvait sur une trajectoire de développement intensif et durable. La croissance qui évoluait sur un rythme de près de 3 % est d’ores et déjà amputée de 0,5 %, et une récession n’est plus exclue.
L’inflation a bondi au-dessus de 3 %. Le chômage progresse pour toucher 4,1 % des actifs. La confiance des ménages s’effondre et l’investissement ralentit. Le Nasdaq a perdu 5 % depuis le début de l’année, quand les marchés européens progressent.
Les taux d’intérêt à long terme se tendent, avec le retour de l’inflation et les incertitudes autour du financement de la dette des États-Unis du fait de la baisse des impôts de 4 500 milliards de dollars planifiée sur dix ans.
Sur le plan géopolitique, l’alignement des États-Unis sur les principes des empires autoritaires – de la logique des zones d’influence fondant le projet d’une grande Amérique, de Panama au pôle Nord, à l’abandon de l’Ukraine en passant par la destruction de leur soft power et de l’ordre international qu’ils avaient fondé – les ravale du statut de seule puissance globale du XXIe siècle au rang de pôle régional.
L’éclatement de l’Occident et de ses alliances stratégiques les prive des relais d’influence qui assuraient leur suprématie. Par ailleurs, la trahison des alliés comme la montée des menaces que les empires font peser sur les nations souveraines alimentent une course aux armements, y compris par la prolifération nucléaire, qui réduira voire annihilera la supériorité militaire des États-Unis.
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Chronique parue dans Le Point du 14 mars 2025