Par son mélange de despotisme, de populisme, de libertarianisme et d’impérialisme, la nouvelle révolution conservatrice engagée par Donald Trump est sans précédent dans l’histoire des États-Unis.
En quelques semaines, Donald Trump a engagé la révolution conservatrice pour laquelle il estime avoir été investi par le peuple Maga. Assisté d’Elon Musk et JD Vance, il a lancé une mécanique de choc et de vitesse pour transformer l’Amérique et le monde du XXIe siècle. Cette nouvelle révolution est sans précédent dans l’histoire des États-Unis par son mélange de despotisme, de populisme, de libertarianisme et d’impérialisme comme par sa radicalité. Elle entend en effet couper l’Amérique de la démocratie libérale avec laquelle se confondait son histoire depuis 1787, et ce au plan intérieur comme au plan international.
La révolution Maga, méthodiquement préparée par le Projet 2025 de la Heritage Fondation, s’organise autour de quatre lignes de force.
1. La toute-puissance du président, qui récuse la séparation des pouvoirs et le jeu des « checks and balances ». L’interprétation de l’article 2 de la Constitution par la « théorie de l’exécutif unitaire » érige le président en seul détenteur du pouvoir exécutif, disposant d’une capacité de décision illimitée sur l’administration fédérale, son budget et ses agents, ou encore dans le domaine de la sécurité nationale qui s’étendrait au droit de la nationalité, à l’immigration ou au commerce international. Elle a pour corollaire une immunité absolue pour les actions relevant de son autorité, reconnue en 2024 par la Cour suprême.
2. Le peuple contre l’État de droit et le pluralisme. JD Vance, dans son discours de Munich, a martelé que la démocratie se réduisait au seul principe de la souveraineté du peuple et au suffrage universel. Elle serait ainsi détachée du pluralisme politique, du respect de l’État de droit et du principe de modération qui impose que la majorité n’opprime pas la minorité.
3. Le capitalisme de prédation dérégulé. La fusion du pouvoir politique avec les milliardaires et la Big Tech s’opère autour de la diminution des impôts – ayant vocation à être remplacés par les droits de douane – et d’une dérégulation massive, notamment dans les secteurs de la technologie et de la finance ainsi que dans les domaines de l’écologie et de la diversité. L’objectif consiste à faire chuter les coûts de l’énergie, à contrôler l’exploitation des ressources naturelles, à conforter les monopoles numériques au service de la croissance, de l’avance prise dans l’IA et de la guerre économique contre la Chine. Elle s’accompagne d’une restructuration drastique de l’État fédéral, de ses agences (y compris la Fed et la SEC) et de ses dépenses, conduite à marche forcée par Elon Musk et le Doge en dehors de tout statut officiel et en violation des compétences du Congrès.
4. La reconfiguration du système international par le protectionnisme et la politique de puissance. Au nom de la « destinée manifeste » des États-Unis, Donald Trump entend construire une grande Amérique disposant d’un espace vital territorial – de Panama jusqu’au pôle Nord en passant par le Groenland -, commercial et technologique. En cela il adhère aux principes des hommes forts tels que Poutine, Xi, Erdogan, Orban ou Netanyahou : le primat de la force sur le droit, le mépris pour la souveraineté des nations plus faibles, pour l’inviolabilité des frontières ou pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; le rejet du multilatéralisme. Les empires autoritaires sont ainsi ses partenaires naturels et les alliés de l’Amérique ses adversaires, sinon ses ennemis. La preuve en est apportée par l’abandon de l’Ukraine et la reprise du narratif de Moscou, assurant à Poutine la victoire qu’il n’a pas réussi à obtenir par les armes et ouvrant la voie à de futures guerres de plus grande ampleur. Ceci marque la fin de l’Occident, de l’unité des démocraties et de leurs alliances stratégiques, à commencer par l’Otan.
La nouvelle révolution conservatrice prétend opposer une démocratie réelle fondée sur la souveraineté du peuple, vivante et forte, à une démocratie libérale formelle, fondée sur les procédures et les normes, impuissante et coupée des citoyens. L’Amérique se détourne ainsi d’Alexis de Tocqueville pour s’inspirer de Carl Schmitt, le légiste du IIIe Reich, qui développa une critique radicale de la pensée politique libérale et humaniste. Pour lui comme pour Trump et son Administration, la condition humaine s’identifie à la politique conçue comme une lutte à mort du bien contre le mal, du beau contre le laid, de l’ami contre l’ennemi. Le pluralisme et l’État de droit se réduisent à de dangereuses illusions. Seules comptent la puissance et la force, dès lors qu’elles fondent la victoire.
Il ne fait pas de doute que la nouvelle révolution conservatrice américaine va déferler sur le monde, au sein duquel elle possède déjà de puissants relais, outre les tyrannies du XXIe siècle, avec Viktor Orban et Giorgia Meloni en Europe, Benyamin Netanyahou en Israël ou Javier Milei en Argentine. Elle offre en effet des réponses simples et séduisantes – autoritarisme, dérégulation, protectionnisme – à l’exaspération des peuples des pays développés devant la stagnation de l’économie, la paupérisation des masses, la sortie de la violence de toute limite, la montée incontrôlée de l’immigration et l’impuissance des institutions.
Face à cette dérive despotique des États-Unis, il est vital que l’Europe n’abandonne pas la boussole de la liberté politique. Mais pour cela, sans céder sur ses valeurs, elle doit répondre de manière urgente aux pathologies sur lesquelles le mouvement Maga a prospéré et à certains reproches fondés qui lui sont adressés par Donald Trump, JD Vance et Elon Musk : son suicide démographique, économique et social avec le blocage de la croissance, des revenus et de l’innovation ; la prolifération d’un État de droit qui a perdu sa raison d’être en protégeant la norme et non plus les citoyens ; la colère des peuples face à la perte de contrôle de la violence et de l’immigration ; la prétention de l’Union européenne à s’ériger en régulateur universel alors qu’elle est étrangère à la production et à l’innovation ; la soumission volontaire aux États-Unis dans les domaines de la technologie et de la sécurité ; l’impuissance et le surendettement des États. C’est bien en Europe et non pas aux États-Unis qu’il faut déréguler pour débloquer le travail, l’investissement et la prise de risque, qu’il faut réinvestir dans la défense et la sécurité, qu’il faut rétablir la souveraineté.
Pour la France, le moment est plus décisif encore. Après quarante-cinq ans d’un interminable déclin qu’Emmanuel Macron a transformé en chute libre, elle ne peut plus rééditer les erreurs commises depuis 1981. La révolution conservatrice américaine, par ses principes viciés et ses excès, ne doit pas fournir de nouveaux prétextes pour occulter ou différer les transformations radicales dont notre pays a besoin. Il n’est pas plus de liberté sans Constitution, sans État et sans régulation du capitalisme, que sans croissance, sans sécurité et sans puissance. N.B.
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Chronique parue dans Le Figaro du 24 février 2025