Les élections législatives du 23 février seront décisives : elles donneront une indication essentielle sur la volonté des Allemands de changer leur modèle ou bien de renoncer à la puissance économique et d’accepter la tutelle des empires.
L’année 2024, qui comptait un nombre d’élections record depuis 1800, fut placée sous le signe de la violence. Elle fut omniprésente dans les scrutins marqués par les attentats contre les candidats, la radicalisation exacerbée par les réseaux sociaux, les interférences des empires autoritaires, comme dans les guerres d’Ukraine et de Gaza qui ont connu une brutale escalade. Elle a accouché d’un monde d’hommes forts, surplombé par la figure de Donald Trump, dont l’influence pèse sur la planète avant même sa prise de fonction. L’année 2025 consacrera cette nouvelle donne où le commerce, le droit et la diplomatie sont soumis à la loi du plus fort.
Le premier quart du XXIe s’achève sur la clôture définitive du cycle de la mondialisation, portée par l’universalisation du capitalisme, la révolution numérique, l’abaissement des frontières, la montée des marchés. Une nouvelle ère s’ouvre, dominée par la rivalité des puissances, le rôle central des États, la priorité à la sécurité. Notre temps demeure celui de l’histoire universelle, mais elle obéit à une logique de fragmentation, de confrontation et de brutalisation. Le système mondial est désormais multipolaire, hétérogène, volatil et incertain, avec la possibilité de ruptures stratégiques soudaines comme on l’a vu en Ukraine ou en Syrie.
L’année qui débute se déroulera sous l’emprise de Donald Trump, qui a su imposer tant sa volonté de puissance que sa radicale imprévisibilité. Il pourra s’appuyer sur le retour en force de l’hyperpuissance des États-Unis, qu’il entend mettre au service des seuls intérêts de l’Amérique. L’épreuve de force qu’a cherché à engager Xi Jinping s’est spectaculairement retournée à l’avantage des États-Unis dont la part dans le PIB mondial pourrait s’accroître jusqu’à 35 % en 2050 grâce à la croissance de la population, aux gains de productivité, au dynamisme de l’investissement et de la recherche, au leadership dans les secteurs et les technologies clés – le numérique, l’IA, l’espace, la biologie et la santé -, à la domination écrasante de la finance (en 2024 le S&P s’est envolée de 25 %, contre une hausse de 6 % pour l’Euro Stoxx 600 et une baisse de 2,5 % pour le CAC 40) et à leur suprématie militaire.
Pour autant, les coups de boutoir que Donald Trump a promis d’asséner à l’économie et à la géopolitique mondiales sont à très haut risque. L’économie américaine, qui se trouve sur une trajectoire équilibrée de croissance intensive, de stabilité des prix et de plein-emploi, subira un fort choc inflationniste si le nouveau président met à exécution son programme de hausse des tarifs douaniers et d’expulsion massive des immigrés illégaux, comme le Brexit en a apporté la démonstration. S’y ajouteront les conséquences des coupes dans les dépenses fédérales et de la déréglementation massive confiée à Elon Musk. La surchauffe programmée et le retour de l’inflation pourraient inciter la FED à relever ses taux, compliquant le financement de la dette de l’État fédéral qui atteint 120 % du PIB comme la capacité des entreprises à surmonter le mur de la dette accumulée durant la pandémie de Covid.
L’économie mondiale a jusqu’à présent témoigné d’une étonnante résilience, progressant de 3,5 % par an malgré l’enchaînement de la pandémie, de la guerre d’Ukraine, du retour de l’inflation et du protectionnisme. Donald Trump pourrait cependant lui asséner un coup fatal en provoquant une généralisation du protectionnisme, en dévaluant le dollar, en amplifiant la guerre technologique contre la Chine, en créant une divergence majeure de normalisation entre les États-Unis et le monde développé qui détournerait l’épargne de l’Europe et de l’Asie. Le scénario d’un effondrement des échanges et des paiements mondiaux comparable à la grande dépression des années 1930 n’est pas le plus probable mais ne peut être totalement exclu. Les ruptures ne seront pas moins profondes et rapides au plan géopolitique. Le temps des armes déclenché par l’invasion de l’Ukraine et l’attaque d’Israël par le Hamas va nécessairement déboucher sur un moment diplomatique. Mais celui-ci sera entièrement déterminé par les rapports de force militaires et politiques.
Le conflit ukrainien fera l’objet d’une négociation directe entre les États-Unis et la Russie, dont les résultats s’imposeront à Kiev comme aux Européens. Avec le risque d’un cessez-le-feu fragile, sans réelles garanties de sécurité, qui ne sera qu’un sursis avant une nouvelle attaque de Moscou. Au Moyen-Orient, Israël a fait la décision au plan militaire et pris l’ascendant face à l’Iran dont l’empire se délite avec la défaite du Hamas et du Hezbollah ainsi que l’effondrement du régime de Bachar el-Assad. Mais une solution politique durable reste très improbable, car la conclusion d’une alliance officielle entre Israël et les pays arabes modérés suppose un règlement de la question palestinienne que Benyamin Netanyahou, renforcé par le soutien de Donald Trump, est moins que jamais prêt à envisager. Simultanément, au Moyen-Orient comme en Afrique et en Asie, de l’Allemagne à la Louisiane, le djihadisme, loin d’être éradiqué, continue à progresser. Enfin, en Asie, Pékin devrait entretenir la stratégie de la tension face à Taïwan sans passer à l’offensive compte tenu de la déliquescence de son économie et du malaise social qu’elle génère.
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Chronique parue dans Le Figaro du 17 février 2025