La seconde Administration Trump n’est pas placée sous le signe de l’art du deal mais de l’ingénierie du chaos. Et ce pour le plus grand bonheur des adversaires du libéralisme et des ennemis de la démocratie, Chine et Russie en tête.
Le duo formé de Donald Trump et Elon Musk n’a pas attendu pour engager sa révolution des États-Unis et du monde du XXIe siècle. Sous le discours messianique vantant l’avènement d’un nouvel âge d’or pointe le divorce de l’Amérique avec la démocratie qui se confondait avec son histoire depuis 1787, l’implosion de l’Occident et l’ensauvagement du monde. La seconde Administration Trump n’est pas placée sous le signe de l’art du deal mais de l’ingénierie du chaos, plongeant dans la sidération et l’incertitude les entreprises, les marchés, les partenaires et les alliés des États-Unis. Et ce pour le plus grand bonheur des adversaires du libéralisme et des ennemis de la démocratie, Chine et Russie en tête.
Depuis son entrée en fonction, Donald Trump a mis en scène la signature de centaines de mémorandums, proclamations et « executive orders », couvrant de l’immigration à la grâce de 1 500 émeutiers ayant pris d’assaut le Capitole le 6 janvier 2021, en passant par la suppression d’agences fédérales, le gel des embauches de fonctionnaires, l’abandon de la lutte contre le changement climatique, la suspension de l’interdiction d’opérer de TikTok, la sécurité des frontières, la désignation des narco-cartels comme organisations terroristes, les politiques de diversité ou encore la définition des identités de genre. Nombre de ces décisions relèvent de la compétence du Congrès des États-Unis. Délibérément illégales, elles ont été déférées aux tribunaux fédéraux, qui, à l’instar de la Cour suprême, sont biaisés par les nominations de juges politiques effectuées par Donald Trump durant son premier mandat. Le respect de la Constitution, fondement de la démocratie américaine et indissociable de la séparation des pouvoirs comme du jeu des « checks and balances », se trouve ainsi annihilé, limitant les possibilités d’action de la société civile.
Dans le même temps, Elon Musk, alors qu’il ne dispose d’aucune fonction officielle dans le gouvernement des États-Unis, a investi avec des équipes d’ingénieurs l’agence qui gère les programmes d’aide au développement ainsi que le centre de paiement des agents de l’État fédéral. Il a érigé US Aid en laboratoire des coupes dans les dépenses publiques, suspendant toutes les actions et les paiements, à la seule exception d’Israël et de l’Égypte, suspendant ou licenciant des centaines de responsables et d’employés. Le 28 janvier, a par ailleurs été envoyée une lettre à 2 millions de fonctionnaires fédéraux pour les inviter à démissionner tout en étant payés jusqu’en septembre. Ces décisions sont parfaitement illégales. Le statut d’Elon Musk de « Special Government Employee » ne l’autorise en rien à se substituer au pouvoir exécutif ou législatif. Le conflit d’intérêts est frontal avec ses activités de chef d’entreprise, alors que ses sociétés font l’objet d’une vingtaine d’enquêtes administratives conduites par une dizaine d’agences fédérales. Les raids conduits par Elon Musk, qui visent non pas à réformer mais à détruire l’État fédéral, s’inscrivent en violation ouverte de l’État de droit.
Avant même son investiture, Donald Trump a pour sa part lancé le projet d’une grande Amérique s’étendant du pôle Nord au golfe du Mexique rebaptisé golfe de l’Amérique, étendue au Canada et au Groenland. Simultanément, Elon Musk s’est engagé aux côtés de l’extrême droite en Allemagne et au Royaume-Uni, mettant notamment le réseau X au service de l’AfD d’Alice Weidel. Depuis, les mesures protectionnistes ont commencé à être mises en œuvre dans la plus grande confusion. La hausse des droits de douane de 25 % sur les importations en provenance du Canada et du Mexique – en infraction du traité conclu par Trump lors de son premier mandat – a été suspendue face aux mesures de rétorsion et à la chute des marchés, en échange d’un vague renforcement du contrôle aux frontières pour réprimer l’immigration illégale et le trafic de fentanyl (nul en provenance du Canada). La surtaxation de 10 % des produits chinois n’a pas manqué de provoquer des représailles avec la hausse de 15 % des droits sur le charbon et le GNL américains, la restriction des exportations de métaux rares et la mise sous sanction de plusieurs entreprises américaines. En guise de compensation, la poursuite de l’aide à l’Ukraine a été conditionnée à des livraisons de métaux rares. Puis vint, à l’occasion de la visite de Benyamin Netanyahou, la proposition improbable de la mise sous administration des États-Unis de la bande de Gaza après le départ forcé de 2,2 millions de Palestiniens, pour la transformer en Côte d’Azur du Proche-Orient. Le commandant en chef du peuple Maga se révèle n’être qu’un promoteur en chef. Avec pour résultat une levée de boucliers mondiale, l’Égypte allant jusqu’à menacer de rompre les accords de paix avec Israël datant de 1978.
La seconde Administration Trump est donc tout entière placée sous le signe de l’hubris. Pour les philosophes de la Grèce antique, à l’image d’Hérodote soulignant que « le ciel rabaisse toujours ce qui dépasse la mesure », cette démesure qui mêle passion, orgueil, outrage et transgression, s’achève toujours par l’anéantissement des hommes ou des cités qui y succombent.
[…]
Lire la suite de l’éditorial sur lefigaro.fr
Chronique parue dans Le Figaro du 6 février 2025