La France se trouve à une heure de vérité. À court terme, la quête d’un nouveau premier ministre éphémère et d’expédients budgétaires reprend. À moyen terme, Emmanuel Macron devra partir.
L’Assemblée nationale a censuré le 4 décembre par une large majorité de 331 députés sur 577 le gouvernement de Michel Barnier, entraînant sa démission. Le seul précédent sous la Ve République remonte au 5 octobre 1962, quand 280 députés sur 480 votèrent la censure du gouvernement de Georges Pompidou pour s’opposer au projet de révision constitutionnelle établissant l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Le général de Gaulle reconduisit Georges Pompidou et décida de dissoudre l’Assemblée le 9 octobre. Le 28 octobre, la révision constitutionnelle fut adoptée par 62,30 % des voix, avant que les élections législatives des 18 et 25 novembre ne donnent au président une solide majorité de 268 députés.
Ces deux événements ont pour seul point commun la fin d’une classe dirigeante : les notables des IIIe et IVe Républiques, symbolisés par Paul Reynaud, au début des années 1960 ; la technocratie, dont la figure ultime est Emmanuel Macron, aujourd’hui. Sinon, tout les oppose. En 1962, après la fin de la guerre d’Algérie et alors que la France est devenue une puissance nucléaire, le général de Gaulle, au sommet de sa légitimité, achève la mise en place des institutions de la Ve République avant de décliner en Europe et dans le monde la stratégie d’indépendance nationale qui couronne la restauration de la puissance de la France. En 2024, la chute du gouvernement, qui n’est pas la cause mais la conséquence d’une dissolution insensée, transforme la crise politique en crise de régime et acte l’effondrement de la France.
Albert Camus soulignait que «quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles ». L’alliance perverse des partis extrémistes, opportunément renforcée par les docteurs Diafoirus du PS, exprime parfaitement le chaos institutionnel et le moment nihiliste dans lequel Emmanuel Macron a jeté notre pays. Ce n’est pas seulement Michel Barnier et son gouvernement qui sont tombés mais une classe politique qui s’est émancipée de toute forme de conviction, de cohérence et de responsabilité. Une classe politique qui ne communie que dans la démagogie de la dépense et de la dette, promettant aux citoyens de recevoir toujours plus en contribuant toujours moins.
Emmanuel Macron a effondré la France, paradant devant Notre-Dame restaurée au milieu d’un champ de ruines et de cendres. Effondrement des institutions dont il était censé être le garant. Effondrement de l’État qui mobilise 58 % du PIB pour être incapable d’assurer les services de base de l’éducation, de la santé, des transports, de la police ou de la justice. Effondrement de l’économie, asphyxiée par les taxes et les normes, qui ne tient plus que par les entreprises mondialisées qui doivent chercher à l’étranger leurs revenus, leurs développements et leurs profits. Effondrement financier avec la sortie de tout contrôle d’une dette de 3 300 milliards d’euros, soit 113 % du PIB, dont la charge est en train d’exploser et qui entraîne dans sa descente en vrille le secteur financier et le CAC40. Effondrement de la société sous l’effet d’une paupérisation galopante et de la contamination d’une violence hors de toute limite. Effondrement diplomatique et stratégique avec la marginalisation en Europe et la piteuse expulsion d’Afrique. Effondrement intellectuel et moral avec la conjonction d’un individualisme radical et le déchaînement des passions collectives dont le retour en force de l’antisémitisme est la sinistre illustration.
L’affaissement de la France menace désormais d’emporter l’Europe. La crise de la dette publique relance les tensions sur la zone euro avec la montée des coûts de financement, la divergence des primes de risque entre les États membres et la chute de la monnaie unique face au dollar. Au moment où la guerre d’Ukraine entre dans une phase décisive avec l’approche des inévitables négociations, la paralysie et la décomposition de la France, auxquelles s’ajoutent le désarroi de l’Allemagne et la pression des populismes prorusses, crée un risque majeur pour la sécurité du continent face à la menace existentielle de la Russie. Et ce au moment où Donald Trump engage les États-Unis dans un tournant isolationniste et protectionniste, avec pour objectif de piller l’industrie et l’épargne européennes tout en se désengageant de l’Otan.
La France se trouve donc à une heure de vérité. Ultimement, tout dépendra des Français. À court terme, la quête d’un nouveau premier ministre éphémère et d’expédients budgétaires reprend. À moyen terme, Emmanuel Macron devra partir car il a trahi sa mission de garant des institutions et de l’intérêt national.
En tant que citoyens et que peuple, nous devons sortir du grand mensonge dont la motion de censure constitue le dernier avatar. Plus que la chute de Michel Barnier ou la démission d’Emmanuel Macron, notre problème consiste à faire le deuil des idées fausses et des illusions sur la France et le monde du XXIe siècle. La France n’est plus ni un pays riche (le revenu par habitant est inférieur de 15 % au niveau allemand et de 50 % au niveau américain), ni une nation dotée d’un État solide et de services publics performants, ni une puissance militaire crédible, ni une démocratie stable. Le modèle de la décroissance à crédit est définitivement caduc. La monarchie présidentielle est aussi despotique qu’inefficace.
Il nous faut désormais choisir. Voulons-nous renouer avec le miracle de 1958 ou devenir l’Argentine de l’Europe ? Voulons-nous conserver la maîtrise de notre destin ou passer sous la tutelle du FMI, de l’Union européenne et de la BCE ? Voulons-nous rester fidèles à la République ou céder à la tentation autoritaire que préfigure l’alliance des extrêmes ? Déchirons le voile de la démagogie pour renouer avec quelques principes fondamentaux qui conservent toute leur pertinence : il n’y a pas de démocratie sans souveraineté, pas de liberté sans responsabilité, pas de puissance ni de progrès social sans croissance, pas de stabilité politique sans classe moyenne, pas de République sans valeurs vivantes.
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Chronique parue dans Le Point du 8 décembre 2024