Économie en berne, explosion des faillites, fuite des investisseurs… Le naufrage de notre pays est le fruit de l’inconséquence de la classe politique, entre querelles d’ego et jeux de pouvoir.
La France, à la suite de la dissolution insensée de juin 2024, solde douloureusement quatre décennies de déclin et de refus de s’adapter au monde du XXIe siècle. Le narcissisme et l’inconséquence d’Emmanuel Macron ont transformé un lent décrochage en crise sans précédent depuis la fin de la IVe République.
Pour avoir accumulé et dilapidé 1 000 milliards d’euros de dette publique supplémentaire en sept ans, la portant à 3 300 milliards, soit 113 % du PIB, notre pays est touché par un violent choc financier. L’activité économique est en panne ; les faillites explosent ; le chômage remonte ; les investisseurs se détournent massivement avec désormais pour mantra « tout sauf la France ».
Les institutions de la Ve République que l’on pensait indestructibles sont paralysées et l’État s’abîme dans l’impuissance, situation inconnue depuis la révolution introuvable de Mai 68. Discréditée et marginalisée en Europe, la France accumule les humiliations, avec pour dernier avatar la rupture des accords de défense et le départ de nos soldats du Sénégal et du Tchad, qui actent définitivement une piteuse sortie d’Afrique.
Dégradation cachée des comptes publics
La brutale accélération de la crise prend sa source dans la perte totale de contrôle des finances publiques à partir de 2023, qui s’est amplifiée en 2024, avec un déficit de 6,2 % du PIB au lieu de 4,4 %. Cet écart n’est pas lié à des erreurs de prévision mais à l’occultation volontaire de la situation financière de l’État, dont la synthèse est effectuée chaque semaine, en raison des élections européennes et des Jeux olympiques de Paris.
La raison profonde de la dissolution, précipitée et aberrante, est à chercher dans cette dégradation cachée des comptes publics. Cinq années séparèrent les Jeux d’Athènes du constat de défaut de la Grèce en 2009, quand Georges Papandréou dut faire état d’un déficit de 12,7 % du PIB et d’une dette de 113 % du PIB. Deux mois seulement se seront écoulés entre la fin des Jeux paralympiques de Paris et la crise financière de la France, dont la dette se situe en 2024 au même niveau que celle de la Grèce des années 2000.
La France affronte aujourd’hui une situation critique, car elle se trouve prise en étau entre un projet de loi de finances dévastateur pour l’économie et une possible absence de budget doublée de la chute du gouvernement, qui pourrait provoquer une panique financière.
Débat parlementaire abandonné aux partis populistes
Michel Barnier avait hérité d’une mission impossible, qui consistait à reprendre la maîtrise des finances publiques sans bénéficier ni du soutien du président de la République, ni d’une majorité même relative à l’Assemblée, ni du temps nécessaire à l’élaboration d’un budget qui s’appuie sur une stratégie économique crédible.
L’objectif qu’il s’était fixé, lors de son discours de politique générale du 1er octobre, de ramener le déficit public à 5 % du PIB en 2025 et 3 % du PIB en 2029, grâce à un effort inédit de 60 milliards d’euros portant en priorité sur des économies, était raisonnable. Il a malheureusement été dévoyé par la technocratie de Bercy puis par le débat parlementaire, qui l’ont transformé en arme de destruction massive de l’économie.
Le projet de loi de finances présenté par le gouvernement, contrairement aux annonces initiales, n’engageait aucune réduction effective des 1 600 milliards de dépenses publiques et prévoyait plus de 30 milliards de hausses d’impôts, dont plus des deux tiers, soit 22 milliards, étaient mis à la charge des entreprises.
Ce choc fiscal de 1,8 % du PIB sur un secteur privé exsangue et qui ciblait notamment les secteurs du luxe, de l’aéronautique, de l’automobile, de l’électricité ou de l’immobilier tout en augmentant le coût du travail et du capital a tétanisé tous les acteurs économiques. Bien loin de la prévision de croissance irréaliste de 1,1 % pour 2025, il a provoqué une chute de l’activité, de l’investissement et de l’emploi dès cette fin d’année 2024.
Le débat parlementaire, abandonné aux partis populistes, a achevé de plonger le budget et la politique économique de la France dans l’incertitude et l’incohérence. L’Assemblée nationale a voté plus de 32 milliards d’impôts nouveaux tandis que le Sénat alourdissait l’exit tax, la flat tax sur les revenus du capital et l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Face à la montée du risque de censure, Michel Barnier avait concédé la non-indexation des retraites à Laurent Wauquiez, la réduction des allègements de charges à Gabriel Attal, la renonciation à la hausse des taxes sur l’électricité à Marine Le Pen. Au total, le choc fiscal sur les entreprises et les ménages aisés est aggravé ; les dépenses poursuivent leur course folle ; le déficit pour 2025 s’établira entre 6 % et 7 % du PIB.
Les banques françaises touchées de plein fouet
L’hypothèse de l’absence de budget après la censure du gouvernement conduit par Michel Barnier est pire encore. Certes, le shutdown à l’américaine n’existe pas en France. Par ailleurs, une loi spéciale reconduisant les recettes de 2024 accompagnée de décrets engageant chaque mois les seules dépenses minimales serait préférable pour l’économie au choc fiscal prévu par le projet de budget.
Mais à la condition de pouvoir voter rapidement en 2025 une nouvelle loi de finances, comme ce fut le cas en 1962 et en 1979. Or, la délégitimation du président, la recherche désespérée d’un nouveau Premier ministre, l’absence de majorité même relative et l’impossibilité de dissoudre cette chambre ingouvernable avant juin 2025, l’empêcheront, créant, en pleine tourmente économique et stratégique, une incertitude politique insupportable.
la crise financière a démarré, puisque notre pays emprunte à des taux plus élevés que l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Quelques fonds ont déjà commencé à vendre massivement la dette française et à spéculer sur son défaut. Les conséquences sont immédiates sur sa charge, qui dépassera 55 milliards en 2025, soit l’équivalent du budget de la défense.
Menacée d’inéligibilité, Marine Le Pen n’a cessé de multiplier ses exigences pour faire tomber le gouvernement. © Raphaël Lafargue/Abaca
Les banques françaises sont touchées de plein fouet par la baisse de leurs cours de Bourse et l’ascension de leurs coûts de financement, de même que le CAC 40, qui a perdu 5,25 % depuis le début de l’année quand le DAX a progressé de 15 % malgré l’implosion du modèle mercantiliste allemand.
Compte tenu de la « dimension systémique » de la France, le choc gagne la zone euro avec une divergence inquiétante des primes de risque entre les États membres et le recul de la monnaie unique face au dollar, dopé par l’élection de Donald Trump. Et ce d’autant que l’Allemagne connaît également des difficultés économiques et politiques avec l’éclatement de la coalition conduite par Olaf Scholz.
Les élus macronistes avides de revanche
La situation géopolitique est au moins aussi tendue, puisque le conflit ukrainien entre dans une phase décisive avec l’ouverture annoncée de négociations en 2025 du fait de l’épuisement provoqué chez les belligérants par une longue guerre d’attrition, de l’escalade de la violence enclenchée par la Russie, enfin et surtout de l’élection de Donald Trump, qui remet en question le soutien militaire et financier des États-Unis à l’Ukraine.
L’Europe va dès lors devoir prendre position sur les garanties de sécurité qu’elle devrait apporter en vue d’un cessez-le-feu – y compris sous la forme du déploiement de troupes, puisque les États-Unis excluent de le faire –, pour la reconstruction de l’Ukraine, pour la défense du continent face à une Russie qui ne renonce pas à ses ambitions impériales, comme le prouve la déstabilisation de la Géorgie, de la Moldavie et de la Roumanie. La crise de notre pays, en rendant possible l’accession au pouvoir de dirigeants prorusses, pourrait faire basculer l’équilibre des forces sur le continent en faveur de Moscou.
Emmanuel Macron, enfermé dans le déni de sa défaite, qui a mené un travail de sape contre son Premier ministre. Mais aussi aux élus macronistes dirigés par Gabriel Attal et avides de revanche, au NFP, qui reste sous l’emprise de Jean-Luc Mélenchon et de sa stratégie du chaos, au RN, enfin, dont le calendrier s’est accéléré à la suite des réquisitions démesurées du Parquet national financier contre Marine Le Pen, qui, contre le droit et la raison, se retrouve sous la menace de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité.
Irresponsabilité de la classe politique
Or la chute de Michel Barnier transformera la crise politique en crise de régime. Contrairement à l’Italie de la coalition des populistes, au Royaume-Uni sous Liz Truss ou à l’Allemagne d’Olaf Scholz, qui pourrait céder le pouvoir à Friedrich Merz, il n’existe pas aujourd’hui d’alternative crédible en France.
Renommer Michel Barnier serait illégitime et voué à l’échec. Aucune majorité de substitution n’est envisageable tant que le PS demeure l’otage volontaire de LFI. Le Mario Draghi français reste introuvable. La dissolution est interdite jusqu’en juin 2025. La seule issue serait dès lors la démission d’Emmanuel Macron, qui ouvrirait la voie à une élection présidentielle dominée par Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Le tout sur fond de panique financière.
Le naufrage de la France n’est pas imputable aux Français, mais à l’irresponsabilité sans limite de la classe politique, qui poursuit ses querelles d’ego et ses jeux de pouvoir en parfaite déconnexion des réalités économique, sociale et géopolitique.
La palme des ingénieurs du chaos revient assurément à Emmanuel Macron, qui consacre toute son activité à se placer au centre des cérémonies marquant la réouverture de Notre-Dame, sans mesurer que le contraste est dévastateur entre les bâtisseurs de cathédrales, géniaux et anonymes, et le fossoyeur égotique de la Ve République.
Mise sous tutelle de la France par le FMI
Mais la trahison de l’intérêt national est tout aussi présente parmi les responsables du socle commun, qui refusent toute économie et n’ont pour seule boussole que leur positionnement dans la future élection présidentielle, au sein du Parti socialiste, qui voit un ancien président de la République voter contre ses propres réformes et être prêt à censurer son dernier Premier ministre s’il était choisi, au sein du RN, qui détruit méthodiquement le pays qu’il prétend diriger, au sein de LFI, qui cultive la violence et s’inscrit dans une logique de guerre civile.
La France d’Emmanuel Macron renoue ainsi avec l’« étrange défaite » des années 1930, dont Marc Bloch fut l’historien et l’analyste : « Notre régime de gouvernement se fondait sur la participation des masses. Or, ce peuple auquel on remettait ainsi ses propres destinées et qui n’était pas, je crois, incapable en lui-même de choisir les voies droites, qu’avons-nous fait pour lui fournir ce minimum de renseignements nets et sûrs, sans lesquels aucune conduite rationnelle n’est possible ? Rien en vérité. Telle fut, certainement, la grande faiblesse de notre système prétendument démocratique, tel, le pire crime de nos prétendus démocrates. »
[…]
Lire la suite de l’éditorial sur lepoint.fr
Chronique parue dans Le Point du 5 décembre 2024