L’absence du souverain pontife lors de la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris en dit long sur sa vision du monde.
Le pape François se rendra en Corse le 15 décembre pour assister à un colloque sur « la religiosité populaire en Méditerranée », organisé pour la circonstance. Il affiche ainsi ostensiblement son refus de participer aux cérémonies pour la réouverture de Notre-Dame les 7 et 8 décembre.
La décision du pape François de ne pas venir à Paris pour un événement qui n’a pas été pensé et organisé par l’Église pour célébrer Notre-Dame mais par l’Élysée pour raviver le culte qu’Emmanuel Macron voue à sa propre personne est parfaitement légitime. Et ce alors que l’incendie de la cathédrale est imputable à l’État – qui a pillé les recettes des visites des tours pour financer ses autres monuments en laissant un système de sécurité obsolète et défaillant –, que les travaux de restauration ont été financés par les seuls dons du secteur privé à hauteur de 850 millions d’euros et que la mission magnifiquement remplie par le général Jean-Louis Georgelin consista avant tout à remédier à l’inefficacité chronique, aux dysfonctionnements et aux guerres intestines des administrations.
Le choix de visiter la Corse est tout aussi cohérent avec les lignes directrices qu’a fixées le pape François pour son pontificat. Dès son élection, le 13 mars 2013, Jorge Mario Bergoglio entendit marquer une triple rupture, justifiée par la profonde crise de l’Église qui avait contraint Benoît XVI à la démission. Il s’engagea en faveur d’« une Église pauvre pour les pauvres » – avec pour symbole le nom de François, en hommage à saint François d’Assise.
Il entendit libérer l’Église des abus du cléricalisme, mis en lumière par la multiplication des scandales financiers et sexuels. Il se donna pour objectif de construire une Église réellement universelle en tirant les conséquences de la fin du monopole de l’Occident sur l’Histoire et en privilégiant le Sud, jugeant que l’avenir de l’Église se jouait en Asie, en Afrique et en Amérique latine, et non dans une Europe qui se sécularise ni une Amérique qui se radicalise.
Une foi profondément ancrée dans la culture corse
La Corse s’inscrit parfaitement dans ces priorités. Elle tranche avec la France déchristianisée puisque 90 % des Corses se déclarent catholiques. La foi est profondément enracinée dans la culture et l’identité corses comme dans le patrimoine architectural, pictural et musical de l’île. Elle n’est pas le fait des élites, mais est portée par le peuple. Loin d’être une relique du passé, elle se trouve en pleine renaissance, ainsi qu’en atteste le succès des processions et des confréries.
Par ailleurs, la Corse est une région périphérique au cœur de la Méditerranée, qui occupe une place centrale dans la parole et l’action du pape François en faveur des migrants. Enfin, elle est en conflit ouvert avec la République française, dont elle conteste les valeurs et les principes au nom de son histoire et de sa volonté d’autonomie.
Sous l’honneur fait à la Corse pointe, à travers le calendrier retenu, le camouflet fait à la France, que le pape François confesse détester. À Ajaccio en 2024, comme à Strasbourg en 2014 et à Marseille en 2023, il se déplace sur le territoire national tout en prenant soin d’indiquer qu’il ne rend pas visite à la France et en évitant de se rendre à Paris. Depuis son élection, il a veillé à marginaliser les représentants de l’Église de France au sein du Vatican et à éliminer l’usage du français.
Enfin, à travers Pascal, à qui il a consacré une lettre apostolique en juin 2023, ou la canonisation du père Charles de Foucauld en 2022, il a honoré des figures de rebelles, en rupture de ban avec le pouvoir royal ou l’armée et en lien fort avec l’Afrique via la réhabilitation de la pensée de saint Augustin pour le premier ainsi que le choix du Sahara et de la civilisation touareg pour le second.
Pourquoi le pape François n’aime pas la France
L’animosité de François pour notre pays, dont il s’est expliqué à plusieurs reprises, tient à trois raisons : son aversion pour les Lumières et pour une raison qu’il juge stérile ; sa critique de la laïcité, qu’il estime trop rigide et qui ferait de la religion une sous-culture repoussée aux marges de la société ; son adhésion à la pensée décoloniale, qui voit dans la France l’un des acteurs majeurs et des pires symboles de l’impérialisme.
Le pape François est assurément dans son rôle en s’engageant aux côtés des plus vulnérables plutôt que des puissants, en s’intéressant aux régions périphériques plutôt qu’aux métropoles, en renforçant la place du Sud au sein de l’Église. Mais son exécration de la France, pour son passé colonial, de l’Europe, dont il dénonça en 2014, devant le Parlement européen, « la fatigue et le vieillissement d’une grand-mère qui n’est plus ni féconde ni vivante », et de l’Occident, au nom du ressentiment du Sud, masque une hostilité inquiétante envers la démocratie et la liberté qui contraste avec son indulgence pour les empires autoritaires et l’islamisme.
François a ainsi non seulement poursuivi le dialogue avec le patriarche Kirill, inféodé à Vladimir Poutine, mais a aligné le Vatican sur le narratif russe. Il a attribué la responsabilité première du conflit à l’expansion de l’Otan et celle de la crise alimentaire et énergétique aux sanctions. Il a expliqué sa transformation en sanglante guerre d’attrition par les livraisons d’armes occidentales à l’Ukraine.
Il soutient le principe d’une paix inconditionnelle par l’intégration de la Russie à l’Europe, qui revient à acter la revendication de Vladimir Poutine pour réduire l’Ukraine à la condition de nouvelle Biélorussie et reconstituer l’empire soviétique. De même, voulant à tout prix établir le dialogue avec la Chine de Xi Jinping, le pape François a signé en 2018 puis reconduit un accord avec Pékin qui légitime l’Église officielle, au prix de la validation implicite de l’annexion de Hongkong et de l’acceptation d’une répression féroce de l’Église clandestine.
Tout à son tropisme en faveur du Sud, le pape François est aussi resté très discret sur l’élimination des chrétiens du Moyen-Orient, leur exclusion du Maghreb, leur extermination par les islamistes dans la majeure partie de l’Afrique, leur éradication par les géants émergents, de l’Inde au Nigeria. Le pape des migrants témoigne ainsi d’une étonnante indifférence pour les 365 millions de catholiques qui sont persécutés dans 78 pays et qui sont les premières victimes du fanatisme religieux.
Le pape du ressentiment contre l’Europe et l’Occident
François reste ainsi enfermé dans son déni du basculement de l’Histoire qui s’est opéré avec l’invasion de l’Ukraine, les massacres du 7 Octobre en Israël et la montée des tensions en Asie autour de Taïwan. Il ignore tant la grande confrontation ouverte par les empires autoritaires contre les démocraties que la sortie de tout contrôle de la violence ou l’achèvement du cycle de la mondialisation dont il fut un symbole.
Il a suivi le Sud dans son alignement sur l’axe formé par la Chine et la Russie pour combattre l’Occident, se refusant à distinguer les victimes et les bourreaux, les envahisseurs et les agressés, les tyrans et les démocrates, en Ukraine comme au Moyen-Orient ou en Asie. Il accable l’Europe au nom d’un passé colonial révolu pour cautionner les entreprises impérialistes contemporaines de la Chine, de la Russie, de la Turquie ou de l’Iran. Oubliant au passage qu’à l’âge des empires du XXIe siècle, l’Europe fait partie des continents fragiles et vulnérables et non des dominants, qu’elle est devenue une proie et non un prédateur.
Jean-Paul II reste le pape de la liberté, qui joua un rôle décisif dans la chute de l’Union soviétique et le dénouement pacifique de la guerre froide. Benoît XVI fut le pape de la réconciliation de la foi et de la raison qu’il tenta d’ériger en digue contre le retour du fanatisme religieux. François est le pape d’un ressentiment contre l’Europe et l’Occident qui ne peut que se retourner contre l’Église. Car le monde post-occidental voulu par les empires autoritaires et les puissances du Sud est certes un monde post-démocratique mais c’est aussi un monde post-catholique.
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Chronique parue dans Le Point du 5 décembre 2024