Ce conflit a ouvert la grande confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties. L’issue de cette guerre jouera un rôle décisif dans le destin de la liberté et de l’Europe.
La guerre en Ukraine a fait basculer l’histoire du XXIe siècle jusqu’à en devenir la matrice, comme les conflits de la Révolution française et de l’Empire furent celle du XIXe siècle et la Grande Guerre celle du XXe siècle. Elle a clos le cycle de la mondialisation. Elle a ouvert la grande confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties, scellant l’alliance entre la Chine et la Russie tout en rapprochant Moscou de Téhéran et Pyongyang. Elle a jeté une lumière crue sur la nature des tyrannies du XXIe siècle, sur leurs ambitions de puissance et leur recours illimité à la violence. Elle a aligné le Sud sur les autocraties, comme on l’a constaté au sommet du G20 de Rio. À l’inverse, elle a souligné la vulnérabilité et la désunion des démocraties.
Nul ne peut donc douter que l’issue de la guerre en Ukraine jouera un rôle décisif dans le destin de la liberté et de l’Europe. Or, après 1 000 jours de combats, ce terrible conflit d’attrition, dont on estime qu’il a fait au moins 700 000 morts et blessés du côté de la Russie et plus de 500 000 du côté de l’Ukraine, connaît un tournant majeur.
Sans pour autant céder, l’Ukraine affronte une situation très difficile. Sur le plan militaire, son armée recule dans le Donbass, victime du manque d’hommes et d’équipements, face au rouleau compresseur russe qui progresse au prix de terribles pertes. La percée vers Koursk n’a pas permis de réduire la pression et les forces de Kiev sont très exposées face aux 50 000 hommes, dont 12 000 Nord-Coréens, massés par Moscou pour reprendre la poche. Sur le plan politique, la population ukrainienne, sans renoncer, est épuisée par les bombardements massifs des villes et des infrastructures essentielles, qui ont détruit 65 % des capacités de production d’énergie. Sur le plan stratégique, le soutien des démocraties occidentales se trouve fragilisé par l’élection de Donald Trump qui s’est fait fort de terminer le conflit en 24 heures – alors que Kiev dépend entièrement du soutien militaire et financier de Washington -, comme par le ralliement de l’Allemagne à une politique de lâche apaisement à l’instigation d’Olaf Scholz.
La Russie de Vladimir Poutine, à l’inverse, se sent en position de force, adossée à son alliance avec la Chine, soutenue par les flux d’hommes, d’armes et de munitions en provenance de Corée du Nord et d’Iran, légitimée par l’appui du Sud, notamment à travers les Brics. En apparence, l’heure est à l’escalade. Du côté de la Russie avec le déploiement d’un contingent nord-coréen qui pourrait atteindre 100 000 hommes, le bombardement systématique des villes, avec l’intensification des opérations de déstabilisation et de désinformation en Europe (Moldavie) comme en Afrique. Un nouveau seuil a été franchi avec la frappe de Dnipro par un missile balistique de portée intermédiaire destiné à l’emport de charges nucléaires, matérialisant la menace de recourir à l’arme atomique face à un « conflit de caractère mondial » Du côté de l’Ukraine avec l’extension du théâtre sur le territoire russe, l’autorisation de frapper les cibles militaires en Russie avec les missiles à moyenne portée occidentaux, le déploiement de mines antipersonnel américaines pour freiner l’avancée russe dans le Donbass.
Sous l’escalade militaire chemine cependant le moment de la diplomatie, que mentionne désormais tant Vladimir Poutine que Volodymyr Zelensky. Le conflit est dans une impasse, aucun des deux adversaires ne pouvant réaliser de percée décisive. L’avantage va à la Russie en raison de sa profondeur et d’une population de 145 millions d’habitants contre 37 millions pour l’Ukraine, mais la volonté de Vladimir Poutine d’annihiler l’État et le peuple ukrainiens a échoué. Les deux pays sont épuisés. L’Ukraine est exsangue démographiquement et économiquement avec des destructions estimées à 155 milliards de dollars. La Russie, témoigne de la résilience exceptionnelle de son peuple et bénéficie de l’euphorie d’une économie de guerre dopée par les dépenses militaires qui s’élèvent à plus de 6 % du PIB et représentent 40 % du budget de l’État fédéral. Mais elle ruine son avenir avec l’exil de plus de 1 million de jeunes qualifiés, la paupérisation de la population du fait de l’inflation, le blocage de l’investissement et de l’innovation, l’extension de la corruption et le renforcement de la répression.
La période qui précède l’ouverture des discussions sera dangereuse entre toutes, incitant à une montée aux extrêmes de la violence pour les aborder dans la meilleure position possible. Elle exige du sang-froid mais aussi une réflexion sur le cadre et le contenu de la négociation, y compris dans l’hypothèse la plus défavorable où elle se déroulerait exclusivement entre les États-Unis et la Russie. L’objectif de Vladimir Poutine sera de conserver les 20 % du territoire ukrainien qu’il a conquis tout en interdisant l’entrée de l’Ukraine dans l’Otan et en limitant le plus possible les garanties de sécurité données à Kiev comme à l’Europe. Donald Trump cherchera à limiter l’engagement des États-Unis et à faire financer la reconstruction de l’Ukraine par l’Union tout en la confiant à des entreprises américaines. La position des Européens est dans les limbes.
Simple cessez-le-feu ou paix véritable ?
Aussi la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et la Pologne devraient se réunir rapidement pour débattre et définir une position sur les questions critiques qui vont se poser. Simple cessez-le-feu ou paix véritable ? Quelles concessions territoriales de la part de l’Ukraine en contrepartie de quelles garanties pour sa sécurité (adhésion à l’Otan, présence de soldats américains et/ou européens) ? Quelle organisation et quel financement pour la reconstruction de l’Ukraine dont le coût est évalué à 500 milliards de dollars ? Quelle architecture de sécurité pour l’Europe face à la Russie dont la menace existentielle ne disparaîtra pas avec l’arrêt des hostilités et compte tenu du tournant isolationniste et protectionniste des États-Unis qui dépasse la personnalité de Donald Trump et est appelé à durer.
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Chronique parue dans Le Figaro du 24 novembre 2024