L’effondrement de la coalition d’Olaf Scholz met le pays, pris en étau entre Trump et Poutine, en situation de vulnérabilité.
La coalition conduite par le chancelier Olaf Scholz a explosé le 6 novembre, le jour même de la réélection triomphale de Donald Trump, indissociable du retour en force du protectionnisme et de l’isolationnisme américains dont l’Allemagne est une cible prioritaire. Fragilisé par une cascade de défaites lors des élections régionales, le gouvernement allemand a reçu le coup de grâce avec l’accélération de la crise économique, provoquant la destruction de 300 000 emplois dans l’industrie.
Rompant avec deux ans de déni sur la profondeur du choc subi par l’économie germanique, les partenaires de la coalition ont violemment divergé, se montrant incapables de s’accorder sur un budget pour 2025. Olaf Scholz et le SPD préconisaient une politique de soutien public à l’industrie ; le ministre de l’Économie et du Climat, Robert Habeck, et les Verts entendaient multiplier les aides publiques au service de la transition écologique, tandis que le ministre des Finances, Christian Lindner, et le FDP privilégiaient la baisse des impôts et des normes ainsi que l’ajustement à la baisse de la transition climatique et l’incitation au travail pour les chômeurs. Sous la menace de voir les libéraux évincés du Bundestag lors des prochaines élections, leur leader a exigé un tournant économique, rééditant la démarche engagée par Otto Graf Lambsdorff qui aboutit à la chute d’Helmut Schmidt en 1982.
Olaf Scholz a tenté de gagner du temps en proposant de poser la question de confiance le 15 janvier, ce qui conduirait à des élections en mars 2025. Friedrich Merz, président de la CDU, a fustigé ce calendrier qui condamnerait l’Allemagne à l’incertitude et la paralysie jusqu’à la mi-2025, en raison des délais pour négocier un contrat de coalition. Et ce au moment où Berlin se trouve pris en étau entre Vladimir Poutine, en position de force en Ukraine, et Donald Trump, fermement décidé à taxer les exportations allemandes et à conditionner la garantie de sécurité des États-Unis à des concessions commerciales et une augmentation de l’effort de défense.
Le manque de leadership de Scholz
L’Allemagne entre ainsi dans une tourmente politique majeure au pire moment. Elle le doit à la faiblesse du leadership d’Olaf Scholz, mais surtout à son incapacité à répondre à la profonde crise économique, sécuritaire, migratoire et stratégique qu’elle affronte.
L’économie allemande, devenue la troisième au monde du fait de la décroissance du Japon, a enchaîné deux années de récession. Le plein-emploi a disparu, et le chômage touche 6 % des actifs. L’inflation résiste et s’est élevée à 5,9 % en 2023. La transition écologique patine, en dépit de gigantesques investissements dans les énergies renouvelables, avec des émissions de 673 millions de tonnes de carbone contre 297 pour la France, du fait du recours massif au charbon, qui assure 26 % de la production d’électricité.
Le trou d’air économique de l’Allemagne est symbolisé par la descente aux enfers de Volkswagen, qui projette de supprimer des dizaines de milliers d’emplois, de fermer trois usines en Allemagne, de réduire les salaires de 10 % puis de les geler jusqu’en 2027, ainsi que par la montée surprise d’UniCredit au capital de Commerzbank.
La posture internationale de l’Allemagne est tout aussi fragilisée. Le modèle mercantiliste associant l’énergie russe, le travail à bas coût d’Europe orientale et les exportations vers les Brics – Chine en tête – a été enterré par l’invasion de l’Ukraine. La transition écologique à marche forcée fondée sur l’absurde sortie du nucléaire et le Green Deal imposé à l’Union européenne ont fait exploser le coût de l’énergie et laminé l’industrie comme l’agriculture.
La défense sous-financée
La stratégie qui prétendait fonder la paix sur le commerce et la corruption des autocrates face aux empires autoritaires du XXIe siècle a spectaculairement échoué. La dépendance aux États-Unis pour l’agriculture, l’énergie, la technologie et l’armement se révèle, elle aussi, à très haut risque. Le sous-financement chronique de la défense (1 à 1,5 % du PIB) et l’externalisation de la sécurité aux États-Unis et à l’Otan laissent l’Allemagne désarmée face à la menace existentielle de la Russie et à la volonté de Donald Trump d’interrompre le soutien à l’Ukraine et de se désengager de l’Otan. Son réarmement demeure en effet virtuel puisque le fonds spécial qui est censé le financer est limité à 100 milliards d’euros et s’éteindra fin 2026. Par ailleurs, Olaf Scholz a renoué avec le pacifisme et le tropisme favorable à la Russie propres au SPD, tout en faisant étalage de sa complaisance envers Xi Jinping.
L’Allemagne, qui était un havre de stabilité, est ainsi devenue un bateau ivre, cumulant récession, montée du chômage, peur du déclassement, poussée de l’extrême droite, discrédit diplomatique et impuissance militaire. L’opinion est passive et lasse, tétanisée devant la désindustrialisation, l’échec de la transition climatique, la montée de l’insécurité, l’immigration incontrôlée, l’impérialisme de la Russie.
L’Agenda 2030 de la CDU
Alors qu’elle s’était imposée, du fait du décrochage de la France, comme le leader incontesté de l’Union et de la zone euro, l’Allemagne les entraîne désormais dans sa chute. En outre, elle s’oppose à la souveraineté de l’Europe et bloque les propositions de Mario Draghi pour améliorer sa compétitivité et sa sécurité au nom du frein constitutionnel à la dette, qui limite à 0,35 % du PIB les nouveaux emprunts.
La crise politique allemande appelle un dénouement rapide, avec l’organisation des élections au tout début 2025. La CDU de Friedrich Merz fait figure de grand favori, en dépit de la fragmentation du paysage politique et de la forte dynamique de l’AfD – isolée toutefois par sa radicalité, qui lui interdit de nouer des coalitions. Elle se propose de mobiliser les Allemands autour d’un Agenda 2030, qui fait écho à l’Agenda 2010 de Gerhard Schröder.
Le Kangourou du jour Répondre Comme dans les années 1990, l’Allemagne doit de fait redéfinir son modèle économique et son positionnement international dans la nouvelle ère qui a succédé à la mondialisation. Elle conserve pour cela de remarquables atouts et de véritables moyens de puissance : compétences industrielles et présence commerciale mondiale, résilience du Mittelstand, capacité d’innovation et robotisation, éducation en voie d’amélioration, dette publique réduite à 64 % du PIB qui laisse de grandes marges de manœuvre pour financer l’investissement et l’innovation.
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Chronique parue dans Le Point du 15 novembre 2024