L’Europe n’a jamais été aussi en danger depuis les années 1930. Et avec la réélection de Donald Trump, elle est désormais seule pour affronter l’avenir.
La réélection triomphale de Donald Trump, maître d’un Parti républicain qui contrôle désormais le Sénat, la Chambre des représentants et la Cour suprême, ouvre une nouvelle ère dans l’histoire des États-Unis. Les Américains lui ont donné un mandat très clair sur une ligne « America first » qui se décline en lutte contre l’insécurité et l’immigration illégale, reprise en main de la bureaucratie, reflux du wokisme, protectionnisme et isolationnisme. Et Donald Trump, fort de son expérience, libéré de la tutelle des grandes administrations de l’État fédéral, entend l’appliquer pleinement, en refermant le cycle historique ouvert en 1917 de la réassurance de la démocratie par les États-Unis. L’Amérique entend désormais réserver sa puissance et sa richesse pour elle seule, même si ce pari est un contresens historique. Avec l’Europe pour cible principale immédiatement après la Chine.
L’implosion de la mondialisation à la suite du krach de 2008, de la pandémie puis de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a mis au grand jour les faiblesses de l’Europe. Son économie stagnante est prise en étau entre le renouveau industriel des États-Unis et le dumping de la Chine. Sa souveraineté et sa sécurité sont menacées par la Russie et dépendent entièrement de la réassurance des États-Unis. Le principe qui a présidé à sa reconstruction après 1945 d’une paix fondée sur le droit et le commerce est caduc depuis l’agression de l’Ukraine et le retour de la guerre de haute intensité sur le continent. Simultanément, les modèles politique et économique de ses grandes nations sont tous en crise, qu’il s’agisse du mercantilisme, du pacifisme et des grandes coalitions en Allemagne, de la monarchie républicaine et de la décroissance à crédit françaises, du malthusianisme italien ou du rêve de Global Britain porté par le Brexit.
De nombreux défis
L’élection de Donald Trump constitue une épreuve de vérité qui ne pourra être tranchée que par la renaissance ou l’effacement de l’Europe. Le 47e président des États-Unis la désigne en effet comme une petite Chine et la considère non comme un partenaire et un allié mais comme un concurrent voire un adversaire. Le défi lancé est tous azimuts.
Défi commercial. La hausse généralisée des droits de douane sur les importations de 10 % et 60 % pour la Chine, associée à la dévaluation compétitive du dollar, implique une désintégration des échanges et des paiements mondiaux. L’Europe sera frappée d’une double peine avec la chute de 25 % de ses exportations vers les États-Unis, qui ont généré un excédent commercial de 157 milliards d’euros en 2023, et le déversement des exportations chinoises qui ne pourront plus accéder au marché américain.
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Défi économique. La combinaison des baisses d’impôts pour les sociétés, d’une déréglementation massive et de la suppression de tout frein à la production d’énergie fossile provoquera un puissant mouvement de délocalisation des entreprises industrielles, des capitaux et des talents vers les États-Unis – et ce d’autant que l’Union européenne multiplie dans le même temps les normes et les taxes destructrices pour la production.
Défi stratégique. Donald Trump s’est prononcé pour l’engagement rapide de négociations sur l’Ukraine avec la Russie, dont la position n’a jamais été aussi forte, et sur la remise en cause du soutien décisif apporté à Kiev (75 milliards de dollars dont 50 milliards d’aide militaire). Une paix conclue aux conditions posées par Vladimir Poutine et sans garantie de sécurité crédible données à Kiev rendrait inéluctable une nouvelle offensive pour annexer l’Ukraine et légitimerait de nouvelles conquêtes de la Russie pour reconstituer son empire. Dans le même temps, la déstabilisation de l’Otan remet en question la sécurité du continent, qui ne dispose face à Moscou d’aucune alternative à la dissuasion américaine.
Défi politique et moral. Donald Trump entend transformer les États-Unis en démocratie illibérale à travers l’alliance d’un pouvoir illimité fondé sur l’allégeance inconditionnelle au président, des milliardaires et du secteur de la technologie. Il dispose de puissants relais en Europe avec Viktor Orban, dont il se réclame, Robert Fico ou Giorgia Meloni, très proche d’Elon Musk. Or ce modèle est incompatible avec les valeurs fondamentales et les institutions de l’Union.
Des atouts majeurs
Depuis l’élection de Donald Trump en 2016, les Européens n’ont rien fait sinon s’enfermer dans le déni sur la profondeur de son empreinte qui est tout sauf une parenthèse, sur la transformation de l’Amérique, sur la réalité de son pivot vers l’Asie et de son retrait d’Europe – au reste initiés par Barack Obama. Face à la pandémie puis à l’invasion de l’Ukraine, la seule réaction fut de renforcer la dépendance vis-à-vis de Washington au plan de l’alimentation, de la santé, de l’énergie, de la technologie, de la finance et de l’armement.
Dans cet âge des empires où la politique domine l’économie et où la force l’emporte sur le droit, l’Europe doit réaliser que sa prospérité n’est plus assurée par la mondialisation pas plus que sa liberté et sa sécurité ne le sont par l’Amérique, qui n’a qu’une lointaine parenté avec elle de 1945 et du D-Day. Elle se trouve à un tournant et va devoir décider de son avenir entre trois options : l’allégeance aux États-Unis sans véritable garantie sur sa liberté et sa sécurité ; la soumission à la tentation autoritaire avec le basculement vers la démocratie illibérale et la reconstitution par la Russie de son empire extérieur ; la construction d’une Europe puissance.
L’Europe continue à posséder des atouts majeurs : un haut degré de richesse (17 % du PIB mondial contre 26 % pour les États-Unis et 18 % pour la Chine), un formidable capital humain, une politique active de cohésion et de solidarité, une stratégie ambitieuse de transition écologique, un grand marché gouverné par un État de droit. Grâce à Mario Draghi, elle dispose d’une stratégie pour se réinventer autour des trois priorités. La compétitivité, qui suppose de soutenir puissamment l’investissement et les innovations de rupture tout en suspendant les réglementations malthusiennes (Green Deal, directives CSRD et CS3D, taxonomie, IA Act). La sécurité économique, qui implique la réduction méthodique des dépendances pour les matières premières critiques, l’énergie – grâce à l’affirmation du principe de neutralité technologique réhabilitant le nucléaire -, l’alimentation et le financement via la mise en place de l’union bancaire et de l’union des capitaux. La défense, à travers une coordination hors Union européenne de la France, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Italie et de la Pologne afin de conduire le réarmement face à la Russie et d’assurer le soutien de l’Ukraine y compris dans l’hypothèse d’un retrait des États-Unis. Aucun élargissement de l’Union ne devrait être envisagé tant que ces réorientations fondamentales n’auront pas été réalisées.
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Chronique parue dans Le Figaro du 10 novembre 2024