Donald Trump s’est engouffré dans l’espace béant qui s’est creusé entre les performances de l’Amérique et le ressenti des Américains.
Déterminante pour la démocratie aux États-Unis comme dans le monde, l’élection présidentielle du 5 novembre a débouché sur une victoire sans appel de Donald Trump. Il devient le 47e président des États-Unis en l’emportant dans la majorité des États pivots, dans le collège électoral et dans le vote populaire. Il est aussi le premier à être réélu après une défaite depuis Grover Cleveland, en 1892. Les républicains disposent en outre de la majorité au Sénat et à la chambre des représentants ainsi que du contrôle de la Cour suprême.
En 1992, Bill Clinton avait expliqué sa victoire sur George Bush père en une phrase : « It’s the economy, stupid ! » En 2024, le triomphe improbable de Donald Trump, qui a réussi à surmonter les séquelles de l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021 ainsi qu’une cascade de condamnations et de procédures judiciaires, se résume en une formule : « It’s politics, stupid ! »
L’administration Biden est loin d’avoir démérité. Son bilan économique, diplomatique et stratégique est à bien des égards remarquable. Mais les démocrates ont oublié l’essentiel : la qualité et la force du leadership, avec le soutien maintenu contre toute raison à Joe Biden alors qu’il n’était plus en état d’assumer ses fonctions ; l’ampleur du malaise de la classe moyenne laminée par l’inflation et l’insécurité ; la profondeur du désarroi identitaire né d’une immigration incontrôlée et de la guerre culturelle lancée par le mouvement woke. Dans le même temps, ils ont commis l’erreur cardinale de sous-estimer Donald Trump, dans ses talents d’animal politique comme dans sa volonté de revanche, en le jugeant, à tort, sorti du jeu par le coup de force contre le Congrès, son échec lors des élections de mi-mandat puis ses mises en cause par la justice.
Pour être un populiste dont le lien avec la vérité et la rationalité est pour le moins distendu, Donald Trump n’en reste pas moins un prestidigitateur de génie. Il a réussi le tour de force de se faire élire sur la peur du déclin dans une Amérique dont la puissance est en plein renouveau. Et ce, pour avoir compris et tiré toutes les conséquences de la fin du cycle de la mondialisation et de l’émergence d’un système multipolaire, instable et violent dans lequel la politique domine l’économie, la force prime le droit, la sécurité l’emporte sur l’ouverture.
Les États-Unis sont les grands gagnants de l’éclatement de la mondialisation. Leur économie croît de 2,8 % par an et se trouve en situation de plein-emploi. Son développement à long terme s’appuie sur des atouts maîtres : une population de 345 millions d’habitants en expansion de 0,6 % par an, des gains de productivité annuels de 2,5 % ; la souveraineté dans les domaines de l’agriculture et de l’énergie ; la domination sans partage du secteur de la technologie. À ceci s’ajoutent la profondeur unique des marchés financiers ainsi qu’un État de droit qui garantit la propriété tout en disposant d’une portée extraterritoriale qui fonde des sanctions redoutables. Enfin, leur influence est adossée à la première armée mondiale, forte de 1,4 million de soldats, de 750 bases extérieures articulées autour d’un dense réseau d’alliances, d’une avance technologique dans les domaines clés de la dissuasion nucléaire, du renseignement, de l’espace, des armes sans pilote, du cybercombat et de l’IA, et enfin d’un engagement sur une vingtaine de théâtres d’opérations qui lui assure une expérience inégalée du combat.
Loin d’être en déclin, les États-Unis ont vu leur part dans le PIB mondial progresser de 25,4 % à 26,1 % depuis 1980. La richesse par habitant s’élève à 81 700 dollars contre 60 350 dans l’Union européenne. Mais 45 % des Américains jugent que leur vie s’est dégradée depuis 2020. Ce sentiment de déclassement a gagné toutes les catégories et toutes les communautés de la population américaine. D’où la coexistence paradoxale d’une puissance en expansion et d’une crise existentielle. Donald Trump s’est ainsi engouffré dans l’espace béant qui s’est creusé entre les performances de l’Amérique et le ressenti des Américains.
Les États-Unis sortent renforcés d’un scrutin régulier, qui aboutit à un résultat non contesté et ouvre la voie à une transition apaisée, déjouant le scénario du chaos sur lequel tablaient la Chine, la Russie et l’Iran. Il ne fait guère de doute que leur puissance va continuer à se renforcer sous la nouvelle administration Trump, au détriment de la Chine et plus encore de l’Europe, en raison d’une stratégie très favorable à l’entreprise, à l’investissement et à l’innovation. La combinaison de la dérégulation, de la baisse des impôts et du protectionnisme accélérera la réindustrialisation, confortera le leadership technologique, renforcera l’attraction des capitaux et des talents.
Mais cette accumulation de puissance diverge de la démocratie. L’Amérique demeure profondément divisée et polarisée autour de deux conceptions irréductibles de la liberté et du pouvoir : individualisme, allégeance à un chef charismatique et nationalisme d’un côté ; culte de l’identité, respect de la Constitution et engagement de l’Amérique dans le monde de l’autre.
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Chronique parue dans Le Point du 8 novembre 2024