L’élection à venir est déterminante pour l’avenir de la démocratie en Amérique comme dans le reste du monde. Elle s’est transformée en référendum sur Trump, en dépit de ses condamnations, de ses multiples inculpations et de sa rupture avec la vérité.
Le scrutin présidentiel du 5 novembre 2024 aux États-Unis est sans précédent. Il s’est transformé en référendum sur Donald Trump, en dépit de ses condamnations, de ses multiples inculpations, de sa rupture avec la vérité et la rationalité. La campagne marque aussi un tournant par sa violence, qui a culminé avec les deux tentatives d’assassinat contre Donald Trump, par sa démesure financière avec l’engagement de plus de 10 milliards de dollars si l’on inclut les élections au Congrès, par la diabolisation de l’adversaire, par la vulgarité et la brutalité inouïes de la rhétorique utilisée. Par ailleurs, autour de Donald Trump a émergé une alliance inédite entre leader charismatique, grandes fortunes et entreprises technologiques, qui représente un péril mortel pour la liberté. Pour toutes ces raisons, cette élection est déterminante pour l’avenir de la démocratie en Amérique comme dans le reste du monde.
L’Amérique a déjà connu des crises démocratiques majeures, à la fin du XIXe siècle avec une puissante tentation populiste, dans les années 1930 avec la montée des mouvements extrémistes difficilement conjurée par Roosevelt, puis dans les années 1970 avec la déstabilisation de la présidence impériale. Mais ces convulsions étaient ancrées dans des chocs économiques : la déflation des dernières décennies du XIXe siècle ; la grande dépression déclenchée par le krach de 1929 ; la stagflation et l’implosion de régulation keynésienne. Aujourd’hui, la corruption des institutions et de la vie publique des États-Unis relève d’une dynamique purement politique qui contraste avec le regain de leur puissance économique, technologique et financière.
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Les États-Unis apparaissent comme les grands gagnants de l’éclatement de la mondialisation en blocs. L’économie américaine s’est installée sur un rythme de croissance de 2,8 % par an (contre 0,4 % pour la zone euro). L’inflation a été ramenée à 2,2 %. Le plein-emploi règne avec un taux de chômage limité à 4,2 %. Surtout, son développement à long terme s’appuie sur des atouts clés : une population de 345 millions d’habitants en expansion de 0,6 % par an ; des gains de productivité de 2,5 % par an ; la domination des secteurs de l’agriculture, de l’énergie, de la technologie, de la finance et de l’armement.
Les États-Unis ont transformé leur modèle économique en renouant avec la production et en relocalisant leur industrie, grâce à la chute du prix de l’énergie et à l’IRA. Loin de décliner, ils renforcent leur position face à la Chine – enfermée dans le piège des pays à revenus intermédiaires par le retour du maoïsme, la crise immobilière et la défiance de la population – comme face à l’Europe – condamnée à la stagnation par son malthusianisme. Leur part dans le PIB mondial a ainsi progressé de 25,4 % à 26,1 % depuis 1980. Il est bien vrai que la croissance américaine est financée à crédit, avec l’accumulation d’une dette publique de 35 800 milliards de dollars, soit 121 % du PIB. Mais celle-ci reste soutenable en raison de la vigueur de l’activité, de la marge de progression des recettes publiques réduites à 27 % du PIB contre 34 % OCDE et 52 % en France, de la puissance du dollar et de l’afflux des capitaux du monde entier.
En dépit de ce renouveau économique, l’Amérique se trouve aspirée dans une régression démocratique qui, loin de s’apaiser après la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021, s’est emballée. La démocratie repose sur la combinaison du suffrage universel, de l’État de droit, de mœurs tolérantes, du sentiment d’appartenance à une nation et à un destin commun. Tout ceci a explosé avec l’élection présidentielle de 2024.
Quelle que soit l’issue du scrutin, la contestation du résultat est probable. Elle est certaine dans le cas d’une défaite de Donald Trump, qui a annoncé qu’il ne se limiterait pas aux moyens juridiques et appelé à des actions violentes, ouvrant la voie à une guerre civile. Les institutions fondées sur la séparation mais aussi la coopération entre les pouvoirs sont bloquées par le refus de tout compromis entre les deux grands partis, tandis que la justice est délégitimée par sa politisation, à l’image de la Cour suprême. Le fédéralisme est en crise aiguë avec la quasi-sécession de certains États. Surtout, la nation américaine est déchirée par la guerre culturelle, la contagion de la peur et de la haine, le déchaînement de la violence politique.
La démocratie américaine, qui a résisté au premier mandat de Donald Trump, ne semble pas pouvoir survivre à un second. En effet, Donald Trump n’est plus le candidat antisystème de 2016, mais le héraut d’une démocratie illibérale, inspirée par Viktor Orban, planifiée par le Projet 2025, associant concentration de tous les pouvoirs entre les mains du président, purges et contrôle de l’État, promotion de nouvelles élites. Il dispose par ailleurs du soutien actif des super-riches et de l’oligopole de la technologie, symbolisé par l’omniprésence d’Elon Musk dans sa campagne. Donald Trump n’est pas un fasciste, car il ne s’appuie ni sur une idéologie ni sur un parti-État. En revanche, il est un authentique autocrate du XXIe siècle qui cumule volonté de disposer d’un pouvoir absolu, fascination pour la force, mépris pour la liberté et la raison et qui représente pour cela une menace existentielle pour la démocratie.
Le problème dépasse par ailleurs Donald Trump ; il est celui de l’Amérique. Les élections de 2024 marquent la fin du cycle historique ouvert en 1917, qui vit les États-Unis incarner la liberté et réassurer la démocratie. Au plan intérieur, la rupture avec la vérité, la préférence pour la violence et la tentation autoritaire sont durablement installées en raison de la dérive individualiste de la société, de l’effondrement des connaissances et de la machine à désinformer que constituent les réseaux sociaux – avec pour symbole la dérive de X sous la houlette d’Elon Musk. Ainsi que l’avait prédit Alexis de Tocqueville : « La concentration des pouvoirs et la servitude individuelle croîtront donc, chez les nations démocratiques, non seulement à proportion de l’égalité, mais en raison de l’ignorance. » Au plan international, l’Amérique ne sera plus jamais celle de 1945. Son impressionnante puissance est relative et les Américains ne veulent plus assumer la réassurance des autres démocraties, même s’ils en tiraient de larges bénéfices. La priorité à America First et le tournant vers le Pacifique sont inéluctables.
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Chronique parue dans Le Figaro du 3 novembre 2024