La Chine et la Russie ont réussi le tour de force de transformer le sommet des grands pays émergents en une machine de guerre au service de leur croisade anti-occidentale.
Le 16e sommet des Brics, qui s’est tenu à Kazan, au Tatarstan, du 22 au 24 octobre, constitue un spectaculaire succès diplomatique pour Vladimir Poutine en même temps qu’une démonstration de force du Sud. Il a réuni 32 pays ainsi que 24 chefs d’État et de gouvernement, auxquels s’est joint, de manière pour le moins surprenante, Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU. Et ce, alors même que la Russie a envahi la Géorgie et l’Ukraine en violation du droit international et que Vladimir Poutine est inculpé pour crime de guerre et fait l’objet d’un mandat d’arrêt émis par la CPI. Le contraste est saisissant avec le fiasco du Sommet de la francophonie à Villers-Cotterêts, déserté par les dirigeants africains, comme de celui du Commonwealth à Samoa, délaissé par l’Inde et l’Afrique du Sud au profit des Brics.
La Chine et la Russie ont réussi le tour de force de transformer l’acronyme inventé au début du siècle par Jim O’Neill, le stratège de Goldman Sachs, afin de vendre des produits d’investissement dans les pays émergents, en une machine de guerre au service de leur croisade anti-occidentale. Au sein d’une mondialisation qui éclate en blocs, ce G20 alternatif représente 41 % de la population mondiale, 26 % de la superficie de la planète, 37 % du PIB, 25 % du pétrole et 50 % des minerais. Il enregistre en 2024-2025 une croissance de 4,5 %, contre 1,7 % pour les pays du G7. Plus de trente États ont en outre fait acte de candidature pour rejoindre les Brics, qui ont acté à Kazan un partenariat avec treize d’entre eux – dont la Turquie, membre de l’Otan !
Les Brics ou la volonté de revanche sur l’Occident
L’ambition ultime des Brics consiste à fédérer 152 des 193 États de la planète contre la supposée hégémonie occidentale. Le système international basculerait d’une configuration de l’Occident contre le reste du monde à celle du Sud contre ce qui resterait d’Occident. Si les Brics restent hétérogènes, s’ils ne forment pas une alliance stratégique comparable à l’Otan, si leurs intérêts divergent parfois frontalement, à l’image de la Chine et de l’Inde dans l’Himalaya, de la Chine et de la Russie en Asie centrale ou bien de la Russie et de la Turquie en Syrie, leur stratégie produit des résultats et ne doit pas être sous-estimée.
e siècle par la dénonciation de l’impérialisme et du colonialisme au XIXe siècle. Ils légitiment le projet d’un ordre mondial post-occidental, qui se décline au plan diplomatique comme au plan économique.
À défaut d’alliance, il existe un partenariat stratégique étroit entre les empires autoritaires. Autour du noyau dur que constitue l’amitié sans limite entre la Chine et la Russie – qui se traduit en réalité par la vassalisation de Moscou par Pékin – s’agrègent différents cercles : l’Iran et la Turquie, puis la Corée du Nord, le Venezuela ou Cuba. Les conflits s’interconnectent et prennent la forme de guerres du Sud contre l’Occident.
En Ukraine, la Russie bénéficie de l’aide de la Chine, des livraisons de drones et de missiles balistiques par l’Iran, et désormais de l’envoi par la Corée du Nord de 12 000 hommes des forces spéciales qui seront déployés dans la région de Koursk et s’ajoutent à l’approvisionnement de plus de 3 millions d’obus et de missiles balistiques. Au Moyen-Orient, la Russie et l’Iran ont signé un nouveau traité qui mêle exportations d’armement, coopération nucléaire et appui diplomatique dans la perspective de négociations. En Asie, la course à l’armement et l’agressivité de la Corée du Nord comme son rapprochement avec la Russie renforcent les menaces sur la Corée du Sud et sur Taïwan. Ces accords croisés mettent en échec les sanctions internationales. Ils font aussi émerger une internationale des États proliférateurs, qu’il s’agisse des têtes nucléaires ou des vecteurs, avec le soutien actif apporté par la Russie à l’Iran et à la Corée du Nord.
La soumission à la Chine et à la Russie
Les Brics entendent par ailleurs s’émanciper du G7, du G20 et des institutions de Bretton Woods pour faire émerger un système alternatif des échanges et des paiements mondiaux. Non sans efficacité. Ils dominent le secteur des énergies fossiles et disposent d’un quasi-monopole dans les matériaux stratégiques indispensables à la révolution numérique et à la transition écologique.
Dans le même temps, la dédollarisation progresse tant dans les échanges commerciaux – la Chine effectue 54 % de ses paiements internationaux en yuan renminbi – que dans les réserves de banques centrales au profit de l’or. Enfin, le modèle chinois fondé sur un régime autoritaire ainsi que sur le contrôle par l’État de l’économie et de la société ne cesse de s’étendre, occupant l’espace libéré par la crise et le retrait des démocraties.
Le Kangourou du jour Répondre Il est grand temps que les démocraties cessent de se replier sur elles-mêmes et d’être obsédées par leurs pathologies en occultant les maux qui accablent la majeure partie de l’humanité. Il est grand temps qu’elles se réengagent dans les solutions à apporter à l’insécurité alimentaire, énergétique et sanitaire, dans le financement des infrastructures critiques pour le développement et la transition climatique, dans la gestion du surendettement et de la multiplication des défauts au sein des pays émergents. Il est grand temps qu’elles renouent avec les valeurs qui ont fait leur succès, la liberté, la raison critique et le sens de l’universel, aux antipodes du programme protectionniste de Donald Trump qui provoquerait un effondrement du commerce et des paiements mondiaux comparable à celui déclenché par le tarif Smoot-Hawley dans les années 1930.
[…]
Lire la suite de l’éditorial sur lepoint.fr
Chronique parue dans Le Point du 31 octobre 2024