La dérive de cette ville expose une partie croissante du territoire national à basculer sous le contrôle des narcotrafiquants, faute d’une prise de conscience et d’une réaction appropriée des pouvoirs publics.
Marseille, avec ses 873 000 habitants, est la deuxième ville de France. Elle dispose d’atouts exceptionnels avec une localisation qui fait normalement de son port la voie d’accès privilégiée de l’Europe de l’ouest pour l’Afrique et le Moyen-Orient, un site exceptionnel au fil de ses 57 km de façade maritime, des infrastructures denses et de qualité au cœur de l’Europe du sud, des universités et un pôle de recherche dynamiques.
Mais, en dépit de quelques entreprises emblématiques, au premier rang desquelles CMA-CGM, Marseille vit pour l’essentiel du secteur public : sur 315 000 emplois, 62 000 sont situés dans les administrations, 10 500 dans les hôpitaux, 5 000 dans l’enseignement, 4 500 dans la sécurité sociale et 4 000 dans l’action sociale. Du fait de l’atrophie du secteur privé, principalement composé d’une myriade de TPE, elle est la ville du chômage permanent (9,7 % des actifs), de la pauvreté endémique (25 % de la population et plus de la moitié dans le 3e arrondissement), des logements insalubres qui constituent 13 % du parc immobilier et dont les dangers ont été tragiquement illustrés par la catastrophe de la rue d’Aubagne.
Marseille est aujourd’hui au bord de la rupture en raison de la sortie de tout contrôle de la violence liée au trafic de drogue et de l’effondrement de l’État. Depuis le début de l’année 2024, 37 assassinats ont été enregistrés, après 49 en 2023, 32 en 2022 et 26 en 2021. Au-delà de cette hécatombe, le procureur de la République a souligné la montée aux extrêmes des violences, qui basculent dans la barbarie, et l’extrême rajeunissement de leurs auteurs, à l’image du meurtre récent d’un adolescent de 15 ans brûlé vif et d’un autre commis par un tueur à gages âgé de 14 ans. L’ultraviolence est désormais le fait de mineurs qui ne connaissent aucune limite, dès lors qu’ils sont privés de tout ancrage familial et social comme de tout repère intellectuel et moral.
Au principe de cette dérive criminelle, on trouve la drogue, dont le marché dépasse 3 milliards d’euros en France et se trouve en très rapide expansion, un point de deal rapportant entre 25 000 et 90 000 euros par jour. Les quartiers nord concentrent ainsi les trois quarts des points de deal et 70 % des homicides. La multiplication des assassinats est liée à la guerre des gangs pour le contrôle du trafic et des territoires. La DZ Mafia, dirigée par l’Algérien Mehdi Abdelatif Laribi, a pris l’avantage sur le gang Yoda, depuis l’arrestation en mars dernier au Maroc de son chef, Félix Bingui, mais livre un combat sans merci aux Blacks, les Comoriens de la cité Félix-Pyat.
La drogue est cependant très loin d’être le problème des seuls quartiers nord. Le Mexique a alerté en vain les autorités françaises sur le changement de dimension et de nature du trafic de drogue à Marseille, qui est en passe de devenir une narco-cité. Les réseaux s’étendent dans tout le sud de la France et remontent jusqu’à Grenoble, qui bascule entre les mains des trafiquants en raison de l’aveuglement et de l’irresponsabilité de son maire, Éric Piolle. La criminalité, à l’image de la guerre, devient hybride : le trafic de drogue croise celui des armes et des êtres humains et s’associe de plus en plus au terrorisme islamiste. Enfin, la prise de contrôle des territoires urbains se prolonge par l’infiltration des collectivités locales et de l’État à travers la corruption d’élus mais aussi d’agents des ports et des aéroports, de douaniers, de policiers, de gardiens de prison, voire de magistrats – abandonnés à eux-mêmes face à la tentation de l’argent facile mais aussi aux menaces lancées contre eux-mêmes et leurs proches -.
Bien loin des annonces gouvernementales, les forces de sécurité sont en effet dans une situation de grande fragilité à Marseille, comme vient de l’établir la Cour des comptes. La gouvernance reste chaotique avec des compétences croisées et mal définies entre la préfecture et la préfecture de police. Les effectifs policiers ont diminué de 4 232 en 2016 à 4 064 en 2023, ce qui est masqué par la mobilisation aléatoire de compagnies de CRS. La police marseillaise est surtout minée par un très profond malaise. Il s’est exprimé par deux mouvements sociaux majeurs contre la réforme de la police judiciaire en octobre 2023 puis le placement en détention provisoire d’un agent de la BAC à la suite des émeutes de l’été 2023 et se traduit par le quadruplement des jours d’arrêt maladie depuis 2016. Par ailleurs, la priorité donnée à la lutte contre les points de deal lors des opérations Place nette a entraîné la suspension des autres missions, avec pour résultat quelque 91 000 procédures pendantes, dont un tiers depuis plus de trois ans.
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La faillite de l’État et l’insoutenable légèreté d’Emmanuel Macron sont également soulignées par la débâcle du plan Marseille en grand. Annoncé en grande pompe le 2 septembre 2021, il entendait faire de la Cité phocéenne le laboratoire du redressement de la France en investissant 5 milliards d’euros dans l’éducation, la santé, le logement, la mobilité, l’emploi, la sécurité et la culture. Trois ans plus tard, les sommes dépensées s’élèvent à 1,31 % des engagements pris, et sont nulles pour les trois secteurs clés de la sécurité, de la santé et des transports. L’explication est aussi simple que symbolique de l’amateurisme qui règne au sommet de l’État. Ce plan sans équivalent pour aucune métropole française n’a fait l’objet d’aucune étude préalable et d’aucune concertation avec les élus, les chefs d’entreprise, les acteurs sociaux ou les citoyens. Il n’a pas été précédé par la mise en place d’une gouvernance assurant l’alignement de l’État et des pouvoirs publics locaux. Il n’a été ni détaillé en actions et objectifs concrets ni formalisé dans un contrat, seule la parole thaumaturgique du président étant censée faire foi. Aucun suivi n’a accompagné la myriade des projets évoqués, au reste sans cohérence aucune.
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Chronique parue dans Le Figaro du 27 octobre 2024