Emploi, exportations, sécurité… Quand les mauvais élèves d’hier donnent une leçon au couple franco-allemand.
L’Europe est la grande perdante de la nouvelle donne issue de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, marquée par l’éclatement de la mondialisation et la confrontation entre les empires autoritaires et les démocraties. Elle devient une zone de déclin démographique et de stagnation économique, tout en se découvrant désarmée face à l’impérialisme de la Russie et à l’affaiblissement de la garantie de sécurité des États-Unis. Surtout, elle est confrontée à la faillite des principes qui ont présidé à sa reconstruction après 1945 : l’établissement de la paix par le commerce et le droit ; la réassurance de l’intégration du continent par le moteur franco-allemand.
L’Union, au moment où elle doit se réinventer autour de la souveraineté et de la sécurité, connaît un grand renversement. La France et l’Allemagne font figure d’hommes malades, quand les pays d’Europe du Sud, du Nord et de l’Est, montrent une résilience et une capacité d’adaptation très supérieures face aux chocs qui se multiplient – du krach de 2008 à la guerre d’Ukraine, en passant par la pandémie de Covid ou la crise énergétique.
La paupérisation accélérée des Français
La France est devenue l’Argentine de l’Europe. Elle cumule croissance atone, baisse de la productivité (– 6 % depuis 2019), chômage structurel de masse (7,3 % des actifs), double déficit budgétaire (6,2 % du PIB) et commercial (3,6 % du PIB), explosion de la dette publique (112 % du PIB), position extérieure nette négative de 800 milliards d’euros, paupérisation accélérée de la population – qui nourrit la colère sociale et l’extrémisme politique –, paralysie des institutions et marginalisation diplomatique.
L’Allemagne est en panne. Elle sera en récession en 2024, comme en 2023 (– 0,2 %). La production industrielle affiche une diminution de 15 % depuis 2019. Le décrochage n’est pas conjoncturel mais structurel, ancré dans l’hiver démographique (1,5 enfant par femme), l’effondrement de la compétitivité avec le prix élevé de l’énergie et la pénurie de travail qualifié, le legs de décennies de sous-investissement, le carcan de la bureaucratie et le poids des impôts. Le modèle mercantiliste est aujourd’hui caduc, miné par les difficultés de l’industrie, la chute des exportations (45 % du PIB) et la vague des délocalisations. Avec, pour symbole, le déclin de la production automobile (– 8,1 % en 2024), qui représente plus de 780 000 emplois directs.
Or, dans le même temps, l’Europe du Sud renaît. L’Espagne, forte de 90 millions de touristes qui lui apportent plus de 200 milliards d’euros, affiche une croissance de 2,8 % en 2024 et ramènera son déficit à 3 % du PIB en 2025. Elle emprunte désormais moins cher que la France – tout comme la Grèce, où l’activité progresse de 2,3 % par an, avec un déficit réduit à 1,6 % du PIB et un taux de chômage revenu de 28 % à moins de 10 %. Le Portugal s’enorgueillit d’une croissance de 2,3 % et d’un excédent budgétaire de 1,2 % du PIB, ce qui a permis de réduire – en dix ans – la dette de 133 à 99 % du PIB.
L’Italie tire les fruits de sa politique favorable aux entreprises, avec une croissance de 1 % et un chômage réduit à 6,8 % de la population active, grâce au dynamisme de ses exportations (4e puissance mondiale quand la France se trouve reléguée au 7e rang). Son renouveau est symbolisé par la tentative de prise de contrôle de Commerzbank par UniCredit, qui pourrait reconfigurer le secteur bancaire en Europe.
Au nord et à l’est de l’Europe également, il y a du nouveau. Les pays scandinaves sont les plus avancés dans la conciliation entre la compétitivité, la solidarité, la révolution numérique, la transition climatique et le réarmement. La Pologne poursuit son rattrapage en conjuguant une croissance de 4 à 5 % depuis vingt ans ainsi que le plein-emploi (taux de chômage de 2,8 %). En 9e position lors de son entrée, elle est devenue la 6e économie de l’Union, devant la Belgique, l’Autriche et la Suède. Elle monte en gamme et fait preuve d’une remarquable attractivité pour les investissements étrangers, qui représentent plus de 30 % de son PIB, grâce à sa fiscalité (taux d’IS de 19 %), à la qualité de ses infrastructures et à l’efficacité de sa main-d’œuvre.
Effort de réarmement
Sur le plan diplomatique et stratégique, l’invasion de l’Ukraine a ouvert une nouvelle donne géopolitique avec le retour de la guerre de haute intensité et d’une menace existentielle de la Russie sur l’Europe. Contrastant avec la complaisance et les errements de la France et de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie – illustrée par les ratés dans la remontée en puissance de la Bundeswehr et la division par deux de l’aide de Berlin à Kiev –, les pays du Nord et de l’Est sont crédités de leur compréhension de la nature belligène et de la stratégie expansionniste du régime de Vladimir Poutine, et d’avoir entrepris d’y répondre dès 2014, après l’annexion de la Crimée.
La Suède et la Finlande ont rompu avec leur neutralité pour intégrer l’Otan, tandis que les pays du Nord et de l’Est ont engagé un puissant effort de réarmement, la Suède rétablissant le service militaire tandis que la Pologne portait son budget de défense à 4 % du PIB.
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Chronique parue dans Le Point du 22 octobre 2024