Alors que la situation économique exige une thérapie de choc, le Premier ministre poursuit la stratégie du « en même temps ».
Depuis le général de Gaulle en mai 1958, nul n’a pris la tête du gouvernement de la France dans des conditions aussi difficiles que Michel Barnier. Avec la fin des Jeux olympiques, le voile du mensonge se lève progressivement sur la situation calamiteuse de notre pays. Une économie à l’arrêt et une accélération de la désintégration de l’appareil productif, illustrée par la reprise de la désindustrialisation. Une perte totale de contrôle des finances publiques avec un déficit de 6,2 % du PIB en 2024 – contre une prévision de 4,4 % – et de 7 % en 2025, indissociable d’une dette de 112 % du PIB qui atteindra 130 % en 2027.
Une explosion de violence qui ensauvage la société et sape la démocratie, avec pour symbole le chaos dans lequel a basculé la Nouvelle-Calédonie. Une paupérisation massive des territoires et de la population qui entretient la colère sociale. Des institutions paralysées par la délégitimation du président de la République et par une assemblée ingouvernable. Un effacement diplomatique qui cumule l’expulsion d’Afrique, l’effacement en Asie-Pacifique et la marginalisation au sein de l’Union européenne.
Par son égotisme et son irresponsabilité, Emmanuel Macron a poussé aux limites et fait exploser le modèle insoutenable de la décroissance à crédit. La stratégie du « quoi qu’il en coûte » fut l’équivalent de la relance à contre-courant et de la construction du socialisme dans un seul pays voulues par François Mitterrand. Ce dernier fut contraint, sous la pression de la crise monétaire et financière, à effectuer le tournant de la rigueur de 1983 pour éviter l’exclusion du Système monétaire européen et surtout le passage sous les fourches caudines du FMI.
Du fait de la folle dérive de la dette, qui a augmenté de plus de 1 000 milliards d’euros depuis 2017, la France se trouve aujourd’hui confrontée à un dilemme comparable : la transformation radicale ou bien la mise sous tutelle de la Commission européenne, de la BCE et du FMI, à l’image de la Grèce de 2009.
Le refus d’une thérapie de choc
La crise financière n’est en effet plus un risque mais une réalité. La dette française est devenue insoutenable avec un service qui approchera 100 milliards d’euros en 2027 et une croissance nominale désormais inférieure aux taux d’intérêt. La longue complaisance des marchés financiers et de nos partenaires européens a pris fin : la France emprunte à un taux plus élevé que l’Espagne et la Grèce et la Commission a engagé en juillet une procédure pour déficit excessif.
Michel Barnier se trouve ainsi devant un choix cardinal entre la vérité et le compromis, entre la rupture et la continuité. Or, à travers son discours de politique générale et ses interventions, il a choisi de ne pas choisir. La rupture a porté sur le style, avec l’abandon salutaire de l’arrogance et du mépris qui constituent la marque de fabrique du macronisme. En revanche, la continuité a prévalu dans le refus d’une thérapie de choc et dans la poursuite du « en même temps ».
C’est de manière surprenante au lendemain de son discours de politique générale que Michel Barnier a dévoilé les grandes orientations de sa politique économique. Elle accorde légitimement la priorité au traitement de la crise financière, en se fixant pour objectif de ramener le déficit public à 5 % du PIB en 2025 et 3 % du PIB en 2029. Ceci passe par un effort de 60 milliards d’euros en 2025 qui porterait sur les réductions de dépenses à hauteur des deux tiers et sur des hausses d’impôts à hauteur d’un tiers, soit 20 milliards d’euros.
La course folle des dépenses publiques
Si les réductions de dépenses restent inconnues, les recettes supplémentaires ont été détaillées. La moitié proviendrait des entreprises à travers le relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) de 25 à 33,5 % pour 300 grands groupes (8 milliards d’euros), l’augmentation de la taxe sur la production d’énergie (3 milliards d’euros), l’instauration d’une taxe sur les rachats d’actions (300 millions d’euros) et la restriction du dispositif Dutreil (300 millions d’euros).
L’autre moitié serait prélevée sur les ménages grâce au gel du barème de l’impôt sur le revenu et à l’alourdissement de la contribution exceptionnelle des hauts revenus (2 à 3 milliards d’euros pour 65 000 ménages, ce qui aboutirait à rendre l’impôt confiscatoire), la hausse du prélèvement forfaitaire sur les revenus de l’épargne de 30 à 34 % (4 milliards d’euros), le durcissement du crédit d’impôt pour les services à la personne, le relèvement du malus sur les véhicules neufs polluants et le triplement de la taxe sur les billets d’avion (1,5 milliard d’euros).
Michel Barnier s’apprête donc à appliquer à l’économie française un choc fiscal d’au moins 0,8 % du PIB. Pourtant, le problème réside dans la course folle des dépenses publiques qui s’élèvent à 1 600 milliards d’euros, alors que les services de base de l’éducation, de la santé, des transports, de la police et de la justice ne sont plus assurés. Et les précédents de 1995 et de 2012-2013 montrent le caractère dévastateur de ce type de mesures.
En 1995, Alain Juppé décida, pour se conformer aux critères de Maastricht, d’augmenter l’IS de 3,3 points, la TVA de 2 points et de déplafonner l’ISF. La croissance chuta de plus de 3 % à 1 % et l’économie française fut coupée de la reprise mondiale jusqu’en 1997. Après un relèvement des impôts décidé par Nicolas Sarkozy en 2011 pour répondre à l’envolée de la dette à la suite du krach de 2008, François Hollande planifia 24 milliards de hausses d’impôts.
Le rendement pour les finances publiques s’avéra très faible en raison de l’effondrement de la croissance. La dette progressa trois fois plus vite que le PIB. Les effets de long terme furent catastrophiques avec la chute des naissances provoquée par le démantèlement de la politique familiale, le blocage de l’investissement et des créations d’emploi, un violent décrochage de la compétitivité des entreprises ainsi qu’une vague de départs de fortunes, d’entreprises et de talents.
Le risque d’une violente crise financière
Le choc fiscal de 2025, appliqué à une économie exsangue, sera encore plus ravageur. La chute de l’activité peut être estimée à 1 point de PIB, ce qui implique un basculement dans la récession (la prévision de croissance de 1,1 % pour 2025 est parfaitement irréaliste). La perte de niveau de vie pour les Français dépassera 10 milliards d’euros, ce qui réduira la consommation.
La fonte des marges des entreprises entraîne une chute de l’investissement et de la recherche qui accélérera le décrochage français. La baisse de la compétitivité des entreprises françaises ira de pair avec le détournement des investissements étrangers ainsi qu’un nouvel exil de capitaux et d’actifs stratégiques. Enfin, la disparition de la croissance annihilera les ressources attendues. En 2025 comme en 2013, les dépenses publiques progresseront plus vite que les recettes et la dette plus rapidement que le PIB, renforçant les risques d’une violente crise financière.
Michel Barnier s’inscrit dans la continuité de tout ce qui a ruiné l’économie française depuis quatre décennies. Il reprend aussi à son compte le slogan du « en même temps », promettant d’un côté de respecter la loi de programmation militaire, de relancer la loi d’orientation agricole, la construction de logements ou la simplification, de lutter contre la délinquance des mineurs et, de l’autre, d’appliquer une introuvable proportionnelle, d’inventer une « écologie des solutions », de convoquer une conférence sur l’eau ou de créer une journée de consultation citoyenne.
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Chronique parue dans Le Point du 11 octobre 2024