Les États-Unis ont su déjouer la nature totalitaire et impériale du régime de Pékin. Désormais ciblée, l’Europe saura-t-elle résister?
Le Politburo du Parti communiste chinois, qui se concentre habituellement sur les questions idéologiques, a consacré sa réunion de septembre à la situation économique et annoncé un vaste plan de relance. Portant sur environ 3 % du PIB, il associe des mesures monétaires et budgétaires : diminution des taux directeurs de 1,7 à 1,5 % et du taux de réserve de 0,5 point par la Banque de Chine ; prêts de 130 à 200 milliards de dollars aux banques ; programme de 110 à 330 milliards de dollars de rachat d’actions par les gestionnaires de fortune ; emprunt par l’État de 250 milliards d’euros pour refinancer les collectivités surendettées.
Une semaine avant la fête nationale du 1er octobre, qui a célébré le 75e anniversaire de la création de la République populaire, la mobilisation des autorités de Pékin sonne comme un aveu d’échec et une prise de conscience du blocage de l’activité ainsi que de la colère sociale face à la baisse des salaires et à la montée du chômage, qui touche plus de 20 % des jeunes.
Xi Jinping est de plus en plus perçu comme le fossoyeur des Quarante Glorieuses de la Chine, qui a fait chuter la croissance de 9,5 à moins de 2 % par an en raison de sa gestion calamiteuse de l’épidémie de Covid, de son inaction face à la crise immobilière, et de la clôture du cycle de la mondialisation provoquée par ses ambitions de puissance démesurées.
Ressentiment envers le régime
La stratégie de relance de l’économie chinoise paraît de nouveau vouée à l’échec, tant elle refuse toute réforme de fond et s’inscrit dans la continuité des erreurs accumulées depuis 2012. Le recours privilégié à l’émission de monnaie renforce l’économie de bulles et le surendettement public et privé, qui dépasse 300 % du PIB. La priorité est donnée à la politique de l’offre et à l’investissement industriel (en hausse de 9,5 % depuis janvier) alors que le frein de la croissance provient du déficit de la consommation, réduite à 40 % du PIB – choix tout aussi aberrant que celui des dirigeants français, qui s’obstinent à soutenir la demande par le surendettement public quand le décrochage provient de l’effondrement de l’offre productive.
La crise de l’immobilier, qui représente 30 % du PIB et 60 % de l’épargne des ménages, ne cesse de s’amplifier, avec 2,9 milliards de mètres carrés de logements invendus, et ne sera pas résolue par le portage des pertes par les entreprises d’État et les banques qui interdit l’ajustement des prix et la restructuration du secteur. La nationalisation de fait de la Bourse, après la technologie, l’éducation et le capital-investissement, souligne le retour en force du capitalisme d’État, qui est incompatible avec une économie de la connaissance fondée sur l’innovation.
La Chine est aux années 2020 ce que fut le Japon dans la décennie 1990. Elle s’est enfermée dans une interminable déflation avec la spirale de la baisse de la population (perte de 200 millions d’habitants dans les 30 prochaines années), de l’emploi, des revenus et de la demande intérieure. Seul progresse l’investissement industriel qui entend, dans le cadre d’une économie de guerre, accumuler de formidables surcapacités de production, qui trouvent de plus en plus difficilement de débouchés extérieurs en raison des mesures de protection légitimement prises par les États-Unis et le Canada (droits de 100 % appliqués aux véhicules électriques chinois) mais aussi les grands émergents comme l’Inde, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande, le Brésil, le Chili ou la Turquie.
Xi Jinping a ainsi détruit tant le pacte implicite qui liait l’enrichissement des Chinois et la préservation du monopole du pouvoir du Parti communiste que la mondialisation qui avait porté le décollage de son pays. D’où le ressentiment qui monte au sein des Chinois envers un régime qui leur impose plus d’obéissance et de contrôle par l’État, pour moins de croissance et de revenus.
Prisonnière de la déflation, la Chine a ainsi perdu sa guerre technologique avec les États-Unis et échoué dans son entreprise de leur ravir le leadership mondial à l’horizon 2049. En dépit de la division de la société et du dérèglement aigu de sa démocratie, l’Amérique dispose d’un PIB supérieur de moitié, contre un tiers il y a cinq ans. Elle a fait en 2008 la démonstration de sa capacité à gérer rapidement et efficacement sa crise financière et immobilière et à reporter l’essentiel des coûts sur le reste du monde. La croissance et les gains de productivité y sont plus élevés grâce au leadership dans les technologies du XXIe siècle – dont la logique est irréconciliable avec le capitalisme d’État chinois, qui prétend fonder l’IA sur des données ethniques et sur la pensée Xi. À l’inverse, les programmes publics américains de soutien à l’investissement ont noué un nouveau partenariat entre l’État et les entreprises alignant réindustrialisation, transition écologique, révolution numérique et reconstruction de la classe moyenne.
Priorité aux industries vertes
Le plan de relance de la Chine constitue en revanche une menace mortelle pour ce qui reste de l’industrie européenne. Face à une demande intérieure déprimée et à la fermeture de l’Amérique du Nord et des émergents, l’Europe demeure le seul débouché potentiel pour les exportations de Pékin, dopées par le dumping et par une baisse des prix de 10,2 % sur un an. Bloquée sur le numérique, la Chine reporte tous ses efforts vers les industries vertes (véhicules électriques, batteries, solaire, éolien, matières premières critiques).
La Chine s’est émancipée de la pauvreté et a décollé grâce à Deng Xiaoping en se convertissant au capitalisme. Elle a cassé son développement et s’est enfermée dans la trappe des pays à revenus intermédiaires en instaurant sous Xi Jinping un total-capitalisme, qui est authentiquement totalitaire mais n’a plus rien de capitaliste. D’où une fuite en avant dans les purges intérieures et dans l’impérialisme, avec la course aux armements (augmentation de 500 à 1 000 têtes nucléaires d’ici à 2030) et la multiplication des incidents autour de Taïwan et en mer de Chine.
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Chronique parue dans Le Point du 8 octobre 2024