La nouvelle Commission européenne se place sous le double signe du refus de l’Europe-puissance et de l’effacement de la France.
Comme l’a souligné Mario Draghi, l’Europe se trouve à une heure de vérité. Elle décroche face aux États-Unis et à la Chine, du fait de la faiblesse de l’investissement et de l’innovation. Il est donc urgent pour l’Union de se réinventer afin de relancer la productivité qui conditionne le développement et de renforcer sa sécurité face à la menace existentielle que représente la Russie. À défaut, elle échouera à devenir un des acteurs du XXIe siècle et n’aura d’autre choix que de se diluer dans un grand ensemble nord-américain ou de se désintégrer et d’être de nouveau, pour partie, asservie par l’impérialisme de Moscou.
Pour l’Europe, les années 2020 seront décisives. La nouvelle Commission qui conduira la destinée de l’Union jusqu’à la fin de la décennie déterminera largement l’avenir de notre continent. Cependant sa constitution, sous l’égide d’Ursula von der Leyen, est placée sous le double signe du refus de l’Europe-puissance et de l’effacement de la France.
Avec Thierry Breton disparaît l’Europe qui agit, au profit de l’Europe des apparatchiks
L’exécution de Thierry Breton, contraint à une démission fracassante le 16 septembre, acte les pleins pouvoirs d’Ursula von der Leyen, qui, s’inspirant des pratiques d’Emmanuel Macron, a écarté toutes les personnalités ayant une forte capacité de leadership qui pouvaient agir de manière indépendante et lui faire de l’ombre, à l’image de Margrethe Vestager ou Frans Timmermans. Si Thierry Breton est desservi par un ego démesuré, s’il confond parfois la communication avec le réel, comme pour la fabrication d’un million d’obus par an pour l’Ukraine restée malheureusement virtuelle, son bilan reste impressionnant et sans équivalent, des vaccins contre le Covid à la régulation du numérique (Digital Services Act, Digital Markets Act, Intelligence Artificielle Act) en passant par les semi-conducteurs, l’espace et la constellation Iris2. Avec lui disparaît l’Europe qui agit, au profit de l’Europe des apparatchiks.
La construction de la nouvelle Commission mêle le choix de responsables politiques de deuxième zone et la confusion des compétences, ce qui supprime la collégialité et concentre tous les pouvoirs entre les mains d’Ursula von der Leyen. La nomination et le positionnement de Stéphane Séjourné sont emblématiques. Nul doute qu’il sera aussi transparent et insignifiant comme commissaire européen que comme ministre des Affaires étrangères, sa seule fonction restant d’être le perroquet d’Emmanuel Macron. Sous un titre ronflant de vice-président exécutif chargé de la stratégie industrielle et de la prospérité, il ne dispose d’aucun pouvoir puisque la conduite effective de la politique économique de l’Union est confiée à quatre commissaires qui exerceront l’autorité sur l’administration et rapporteront directement à la présidente.
Prise de contrôle de l’Union par l’Allemagne
L’éviction de Thierry Breton et la formation de la nouvelle Commission, venant après la constitution du Parlement où notre pays ne pèse plus rien, actent le déclassement de la France. L’Union se construit désormais sans elle, voire contre elle. À preuve, ont été nommés respectivement à la Transition écologique et de la Concurrence et à l’Énergie et au Logement deux militants antinucléaires radicaux, l’Espagnole Teresa Ribera Rodriguez et le Danois Dan Jorgensen.
La mise à l’écart de la France s’accompagne de la prise de contrôle de l’Union par l’Allemagne, en dépit de la crise de son modèle mercantiliste et de l’impasse de ses choix énergétiques. Or la mise sous influence de Bruxelles par Berlin devrait se renforcer en cas de victoire de la CDU de Friedrich Merz lors des élections législatives de 2025. La vision allemande, dont Ursula von der Leyen est la dépositaire, repose sur l’intégration de l’Europe dans le marché nord-américain avec pour levier la technologie, l’opposition au nucléaire civil et militaire, la délégation de la sécurité aux États-Unis à travers l’Otan, la prudence vis-à-vis de la Russie et la complaisance à l’égard de la Chine, le couplage de l’élargissement rapide de l’Union avec la systématisation du vote à la majorité qualifiée. Donc l’annihilation du projet d’Europe-puissance longtemps porté par la France et remarquablement actualisé par Mario Draghi.
Le naufrage d’Emmanuel Macron
La France est seule responsable de son humiliation et de son abaissement au rang de petite nation du sud de l’Europe. Parmi les causes immédiates domine le discrédit d’Emmanuel Macron à la suite de l’effondrement de son parti, de ses errements et revirements incessants, tout particulièrement à propos de la Russie et de l’Ukraine, de la défiance généralisée qu’il inspire à tous les dirigeants européens. Mais les raisons sont aussi structurelles. Elles renvoient au blocage des institutions de la Ve République et à l’impuissance de l’État, au décrochage économique et à la perte de contrôle totale de nos finances publiques, à la chute de notre influence internationale, soulignée par la défaite au Sahel, la sortie piteuse d’Afrique de l’Ouest, le chaos de la Nouvelle-Calédonie, qui risque de se solder par notre départ d’Asie-Pacifique.
La gifle qu’Ursula von der Leyen s’est sentie libre d’asséner à la France en toute impunité devrait nous réveiller et nous inciter à nous mettre sérieusement au travail. Elle enterre définitivement Emmanuel Macron, qui a réussi à dissoudre non seulement sa majorité, son quinquennat et les institutions de la Ve République, mais aussi le statut de la France dans l’Union. C’était le seul facteur de continuité de notre politique étrangère depuis 1958 comme de ses présidences. Reste à imaginer l’après-Emmanuel Macron qui pourrait commencer beaucoup plus vite que prévu.
Soutenir Mario Draghi
L’autre urgence est européenne. Elle impose de contrer la vision d’une Europe-objet portée par Ursula von der Leyen, notamment dans ses dimensions les plus contraires aux intérêts vitaux de notre pays qui touchent à l’énergie et à la défense. La France ne dispose ni des leaders ni de la crédibilité pour porter un projet alternatif. Elle gagnerait à fédérer une majorité d’États pronucléaires en s’appuyant, en particulier, sur l’Europe centrale et orientale et sur l’Europe du Nord pour refonder la politique de l’énergie et la transition écologique autour de la notion clé de décarbonation. Elle serait également bien inspirée de soutenir Mario Draghi, qui s’affirme aujourd’hui comme l’avocat le plus talentueux et efficace de l’autonomie industrielle et stratégique de l’Europe.
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Chronique parue dans Le Point du 30 septembre 2024